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Devoir envers le client ou devoir envers le tribunal : lequel a priorité?  

Évaluation immobilière au Canada

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2017 – Volume 61 – Tome 4
Devoir envers le client ou devoir envers le tribunal : lequel a priorité?  
Antoine Hacault, avocat et procureur

Devoir envers le client ou devoir envers le tribunal : lequel a priorité?

La fine ligne de démarcation entre l’ingérence et l’assistance d’un avocat dans la rédaction d’un rapport d’expert

Par Antoine Hacault, avocat et procureur

Un membre de l’ICE peut être invité à préparer un rapport d’expert en prévision d’un différend en immobilier, qu’il s’agisse d’un conflit conjugal, d’un différend entre locateur et locataire ou d’un désaccord relatif à l’évaluation ou à l’expropriation d’un bien. Dans cet article, j’ai l’intention d’explorer trois problèmes généraux :

  1. Quels sont vos devoirs envers le tribunal si vous êtes appelé à témoigner à titre d’expert?
  2. Votre devoir envers le tribunal a-t-il priorité sur votre devoir envers le client?
  3. Dans quelle mesure un avocat peut-il participer, s’il y a lieu, à la préparation de votre rapport?

1. QUELS SONT VOS DEVOIRS ENVERS LE TRIBUNAL SI VOUS ÊTES APPELÉ À TÉMOIGNER À TITRE D’EXPERT?

Les Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC) exigent que vous précisiez, dans vos rapports, le client et l’utilisateur prévu1. Comment cela s’applique-t-il aux rapports destinés à être utilisés devant un tribunal?

J’ouvre la discussion en invoquant les principes sous-jacents liés à la preuve d’expert. Vous serez qualifié d’expert en matière d’évaluation et, à ce titre, certains principes et exceptions s’appliquent à votre participation. 

L’un des principaux cas est l’affaire Moore c. Getahun, 2015 ONCA 55. Dans cette affaire, le tribunal a estimé que les preuves d’experts constituent une exception à la règle selon laquelle « les témoins ne peuvent témoigner que des faits et non des opinions et que seul le juge peut tirer des conclusions à partir de faits prouvés ». Un témoin expert peut fournir des faits, ainsi que des opinions fondées sur des faits prouvés. Cette exception à la preuve d’expert s’applique aux évaluateurs agissant en qualité de témoins experts. L’évaluateur expert a des connaissances spécialisées et ces connaissances peuvent aider un décideur à déterminer les implications de toutes les données présentées lorsque ledit décideur ne possède pas les compétences nécessaires pour tirer, sans l’aide d’un expert, les conclusions qui s’imposent. 

Par conséquent, la question se pose à savoir comment nous devons veiller à ce que les évaluateurs offrent une opinion experte impartiale reposant sur les faits prouvés devant les tribunaux. Divers tribunaux ont mis en place des exigences concernant le témoignage de témoins experts.

Bien que les règles varient d’une province à l’autre et sachant que certaines provinces n’ont même pas cette exigence, voici un exemple de ce que devrait contenir une déclaration portant votre signature à joindre à votre mandat :

RECONNAISSANCE DU DEVOIR DE L’EXPERT

  1. Je m’appelle ……………………………….. (votre nom). J’habite à ………………………. (ville), dans la province de ……………………………. (province) au ………………………………(pays).
  2. J’ai été embauché par ou au nom de ……………………………………. (nom de la ou des parties) pour fournir des preuves dans la cause juridique susmentionnée.
  3. Je reconnais qu’il est de mon devoir de fournir des preuves dans cette affaire comme suit :
  1. fournir des preuves d’opinion qui sont justes, objectives et non partisanes;
  2. fournir des preuves d’opinion qui se rapportent seulement aux questions qui relèvent de mon domaine d’expertise;
  3. fournir toute assistance supplémentaire que le tribunal pourrait raisonnablement exiger afin de déterminer une question en cause.
  4. Je reconnais que le devoir énoncé ci-dessus a préséance sur toute obligation que je pourrais avoir envers toute partie par laquelle ou au nom de laquelle j’ai été embauché.

Date                                                                                 Signature

(Un exemplaire de ce formulaire et d’autres ressources se trouvent au https://www.aicanada.ca/fr/professional-practice/expert-witness-resources/)

2. VOTRE DEVOIR ENVERS LE TRIBUNAL A-T-IL PRIORITÉ SUR VOTRE DEVOIR ENVERS LE CLIENT?

Vous remarquerez que, bien que le libellé reconnaisse que vous avez été embauché par un client individuel, le même libellé va plus loin en précisant qu’il est de votre devoir de donner votre opinion de manière juste, objective et non partisane et, ce qui importe encore davantage, de fournir l’assistance que le tribunal peut raisonnablement exiger, pour trancher une question en cause.

Par conséquent, bien que le client soit habituellement la personne pour laquelle vous rendez des services professionnels, les utilisateurs prévus dans le litige sont le client et le tribunal, avec la clause précisant que votre obligation envers le tribunal a priorité. Vous êtes censé reconnaître que le devoir envers le tribunal prévaut sur toute obligation que vous, à titre d’évaluateur, devez à votre client ou à quiconque vous a engagé. C’est ce que les tribunaux attendent de vous, que vous ayez inclus ou non une telle déclaration dans votre mandat. Je vous recommande donc, si les exigences locales ne prévoient pas que vous signiez une déclaration semblable à celle donnée en exemple, d’inclure une telle déclaration dans votre mandat.

3. DANS QUELLE MESURE UN AVOCAT PEUT-IL PARTICIPER, S’IL Y A LIEU, À LA PRÉPARATION DE VOTRE RAPPORT?

Dans Moore c. Getahun, 2015 ONCA 55, le tribunal a réitéré les principes de common law suivants qui sont considérés comme des règles générales :

  1. La preuve d’expert présentée au tribunal devrait être le produit indépendant de l’expert non influencé quant à la forme ou au contenu selon les exigences du litige et devrait être considérée comme telle.
  2. Un témoin expert devrait fournir une assistance indépendante à la cour en fournissant une opinion objective, impartiale par rapport aux questions relevant de son expertise [citation omise]. Un témoin expert … ne doit jamais assumer le rôle d’un avocat. (Para.52)

En Ontario, il existe un guide passablement élaboré qui énonce le rôle d’un avocat face aux témoins experts et à leurs rapports. On peut le consulter au :

http://www.advocates.ca/assets/files/pdf/The_Advocates_Society-Principles_Governing_Communications_with_Testifying_Experts_3_sep18.pdf

Je suis d’avis que les principes directeurs suivants décrits dans ce guide reflètent les pratiques exemplaires.

L’avocat a le devoir de présenter une preuve d’évaluation qui est :

  1. pertinente aux questions en cause dans l’instance en question;
  2. fiable; et  
  3. claire et compréhensible.  

Pour bien s’acquitter de son devoir, il est souvent essentiel que l’avocat consulte les évaluateurs appelés à témoigner. L’avocat peut donc consulter les évaluateurs et il peut préparer les évaluateurs à témoigner au procès ou aux audiences en qualité de témoins experts. L’avocat n’est pas tenu de céder entièrement la préparation d’un rapport ou d’un affidavit à un évaluateur et il peut prodiguer des conseils appropriés quant au format et au contenu d’un rapport ou d’un affidavit avant sa présentation dans sa version finale.

Au début de tout engagement avec un évaluateur, l’évaluateur devrait s’assurer que l’avocat lui fournit tous les renseignements concernant son rôle et la nature et les attentes relatives aux fonctions d’un expert, notamment les exigences en matière d’indépendance et d’objectivité.

L’avocat devrait veiller à ce que l’évaluateur ait une compréhension claire de la question sur laquelle l’évaluateur a été invité à donner son opinion. L’avocat devrait également veiller à ce que l’évaluateur dispose de tous les documents et renseignements pertinents dans l’affaire sur laquelle il a été invité à donner son opinion, que cette documentation ou ces renseignements soient utiles ou nuisibles à la cause du client.

Dans l’accomplissement de son devoir de présenter des preuves d’experts claires, compréhensibles et pertinentes, l’avocat ne doit pas communiquer avec l’évaluateur d’une manière qui pourrait nuire à l’indépendance et à l’objectivité de l’évaluateur dans l’exercice de ses fonctions.

Le degré approprié de consultation entre un avocat et un évaluateur qui sera appelé à témoigner à titre d’expert dépendra de la nature et de la complexité de l’affaire en question, du niveau d’expérience de l’évaluateur, du domaine d’expertise de l’évaluateur et d’autres circonstances pertinentes dans cette affaire.

L’avocat devrait prendre des mesures raisonnables pour protéger un expert appelé à témoigner contre toute critique inutile.

Bien que le rôle de réviseur ne fasse pas partie de ses fonctions, l’avocat peut, par ses questions et commentaires, rehausser la qualité d’un rapport d’évaluation, affidavit ou rapport d’examen présenté en preuve au tribunal. Il peut, à tout le moins, aider à éviter les incohérences, fautes de frappe et erreurs mathématiques dans un rapport qui pourraient avoir des répercussions sur la crédibilité d’un membre devant le tribunal.

Un avocat bien informé peut aussi être en mesure de poser des questions à savoir si :

  • la portée du travail utilisée dans le rapport à l’étude est pertinente à l’utilisation prévue, à l’utilisateur prévu et à la propriété à l’étude ou
  • les données sont adéquates et pertinentes et les ajustements des données sont pertinents (voir Norme relative aux activités d’examen – Règle 8.2.9) ou
  • la portée du travail utilisée a été satisfaite ou
  • le rapport à l’étude satisfait ou non aux exigences établies dans son énoncé d’objectif et de portée du travail ou
  • les règles et commentaires pertinents ont été pris en considération ou
  • les méthodologies (d’évaluation ou autre) et les techniques utilisées sont appropriées et appliquées correctement (voir Norme relative aux activités d’examen – Règle 8.2.10) ou
  • les analyses, les opinions et les conclusions figurant dans le rapport à l’étude sont appropriées, raisonnables et adaptées à l’utilisation prévue par l’utilisateur prévu (voir Norme relative aux activités d’examen – Règle 8.2.11).

Tout comme les avocats et les juges ont besoin de la contribution d’experts, de même les témoins experts ont besoin de l’aide des avocats pour formuler leurs rapports d’une manière compréhensible et adaptée aux problèmes juridiques pertinents dans une affaire. (Para. 62) Moore c. Getahun, 2015 ONCA 55.  

Les avocats doivent veiller à ce que le témoin expert comprenne des questions telles que :

  • la différence entre le fardeau juridique de la preuve,
  • la nécessité de :
    • clarifier les faits et les hypothèses sous-jacentes à l’opinion de l’expert,
    • limiter le rapport aux questions relevant du domaine d’expertise du témoin expert et
    • éviter d’usurper la fonction de la cour comme arbitre ultime des problèmes. (Para. 63) Moore c. Getahun, 2015 ONCA 55

Un avocat peut aider un évaluateur à comprendre que, aux fins d’une cour ou d’un tribunal, la preuve d’un fait doit reposer sur la capacité d’un témoin à prouver que le fait est probable. Par exemple, dans une analyse de l’utilisation optimale, la question est de savoir s’il est probable que le zonage peut être modifié pour permettre une utilisation différente. Il ne suffit pas qu’il soit possible de modifier le zonage pour permettre une utilisation différente.

En fin de compte, si un évaluateur a été invité à témoigner devant un tribunal, son rapport constitue une partie importante de la communication avec le tribunal. Avec la connaissance vient la responsabilité. Votre responsabilité en tant qu’expert ayant des connaissances en évaluation est de veiller à ce que vos rapports soient clairs, compréhensibles et pertinents et qu’ils décrivent efficacement les données sous-jacentes et communiquent la logique et le raisonnement conduisant à l’opinion sur la valeur. Pour atteindre l’objectif de votre responsabilité de fournir une assistance au tribunal pour résoudre un problème d’évaluation il est essentiel que vous travailliez en équipe avec l’avocat et que vous compreniez le rôle de l’avocat et le rôle de l’évaluateur.           

Note en fin de texte

[1] Voir la Norme relative aux activités d’évaluation – Règle 6.2.1 et Commentaire 7.2, Il s’agit toujours d’évaluation ou de consultation en cour, donc on peut s’en tenir à Norme 1 ou 2