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Arbitrage du « juste loyer marchand » dans les examens de location commerciale

Évaluation immobilière au Canada

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2022 – VOLUME 66 – Tome 4
Arbitrage du « juste loyer marchand » dans les examens de location commerciale
John Shevchuk - avocat plaidant, C.Arb, AACI (Hon)

Par John Shevchuk

avocat plaidant, C.Arb, AACI (Hon)

On m’a demandé récemment si les décisions rendues dans le cas Pacific West Systems
Supply Ltd. v. B.C. Rail Partnership
1 par les tribunaux de la Colombie-Britannique [Pacific West] sont toujours bien fondées pour envisager la proposition d’utiliser les restrictions imposées par les conditions d’un bail foncier dans un examen du loyer. La réponse est oui… peut-être.

Dans le présent article, je rappellerai aux lecteurs les principes généraux de droit qui encadrent l’interprétation des baux, j’examinerai les faits et le droit invoqué par les tribunaux dans Pacific West et, enfin, je commenterai des situations où il pourrait être prudent de conclure qu’un examen du loyer contenant le terme « juste loyer marchand » permet d’envisager un bail qui inclut des conditions restreignant l’utilisation.

Définition du « loyer marchand »

Dans White v. R.2, la Cour canadienne de l’impôt citait une définition du terme « loyer marchand » dans le domaine de l’évaluation, qui est décrit en partie ci-dessous :

7      M. Chappell s’est référé à la quatrième édition de Real Estate Appraisal (The Appraisal Institute, Chicago, 2002), qui définissait de « loyer marchand » comme suit :

Le loyer le plus probable qu’une propriété devrait rapporter dans un marché ouvert concurrentiel, reflétant toutes les conditions et les restrictions du contrat de location indiqué et incluant le terme, le rajustement et la réévaluation du loyer, les utilisations permises, les restrictions d’utilisation et les obligations de dépenses…

[Nous soulignons.]

La définition dans la sixième édition du dictionnaire maintient la notion d’envisager le recours à des utilisations permises et des restrictions d’utilisation dans un contrat de location donné.3 Toutefois, dans une action en justice comme une affaire judiciaire ou un arbitrage, la compréhension du terme « loyer marchand » dans la sphère de l’évaluation peut ou non l’emporter, selon la détermination de la cour ou du tribunal d’arbitrage concernant l’intention du locateur et du locataire.

Interprétation d’un bail : principes généraux

Interpréter tout contrat, incluant un bail commercial, implique de dégager objectivement l’intention des parties selon la signification simple et ordinaire des mots apparaissant au contrat, dans son contexte général et dans les circonstances qui l’entouraient au moment de sa conclusion. On examine les circonstances entourant le contrat pour élucider l’intention des parties, pas pour la subvertir.4

En ce qui concerne les clauses d’examen des loyers, le tribunal analysera l’objectif commercial habituel derrière de tels examens. Une expression de l’objectif commercial est qu’à moins d’une intention contraire exprimée dans le bail, l’objectif par défaut d’un examen du loyer est »…de permettre au locateur d’obtenir de temps à autre le loyer du marché que les lieux commanderaient s’ils étaient loués aux mêmes conditions sur le marché ouvert aux dates d’examen. Le but est de refléter les changements dans la valeur de l’argent et les augmentations réelles de la valeur de la propriété pendant un long terme.»5

Mais, comme le juge Lowry l’écrivait dans sa décision à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Pacific West, la question est de savoir dans quelle mesure le locateur peut jouir d’une protection. Par exemple, considère-t-on qu’après avoir initialement consenti à un taux qui était basé sur une
utilisation restreinte, cette base s’évaporerait lors d’un examen du loyer, même si la restriction d’utilisation demeurait une condition du bail ?

Pacific West

Pacific West visait un bail foncier commercial à long terme qui demandait un rajustement périodique du loyer. Le bail restreignait l’utilisation des terres à « la construction et l’exploitation d’une compagnie de matériaux de construction ». Le loyer à fixer était le « juste loyer marchand »; l’utilisation restreinte indiquée dans le bail n’était pas invoquée dans la clause d’examen du loyer. L’arbitre a conclu que la restriction d’utilisation n’était pas pertinente pour déterminer le juste loyer marchand. Le locataire a remporté son appel à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. L’appel du locateur visant la décision de la Cour suprême a été rejeté par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Les deux cours tenaient que la cause du bail sur l’utilisation restreinte devait être prise en considération dans l’examen du loyer.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique s’est appuyée sur la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Canadian National Railway Company v. Inglis Ltd.6 [Inglis]. Dans Inglis, le bail restreignait l’utilisation du terrain pour les fins de fabrication en lien avec l’entreprise locataire Inglis. De plus, le locateur, Canadian National Railway [la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada], avait le droit de fixer le loyer tous les cinq ans à un montant qu’il croyait juste et équitable. La Cour d’appel de l’Ontario tenait que le bail devait être interprété comme exigeant que le locateur décide objectivement de ce qui était juste et équitable, compte tenu de toutes les circonstances. Cela a eu des conséquences sur la clause d’utilisation restreinte.

Robin J.A., écrivant pour la Cour d’appel de l’Ontario, déclarait en partie : « À mon avis, comme une proposition générale, les évaluations de terrains servant à déterminer le loyer devraient tenir compte des restrictions imposées par le locateur sur l’utilisation du terrain, à moins que le bail ne contienne des dispositions manifestant clairement une intention que les restrictions ne soient pas considérées dans le calcul de la valeur. » Il s’est appuyé sur la décision de la Cour d’appel de l’Angleterre dans Basingstoke and Deane Borough Council v. Host Group Ltd.7 [Basingstoke] (terre nue limitée à l’utilisation d’une maison publique).8

La décision de la Cour d’appel dans Pacific West confirmait la décision de la Cour suprême, invoquant Basingstoke, mais sans mentionner Inglis. Lowry J.A., écrivant pour la cour, déclarait en partie : « En l’absence d’une disposition expresse du contraire, je ne vois pas de base saine sur laquelle on peut affirmer que les parties à ce bail puissent avoir voulu que le locataire soit placé dans une position où il devait payer le loyer selon l’utilisation non restreinte des terres, quand il lui est interdit de jouir de ce qui est peut-être l’utilisation optimale. »9

La décision de la Cour d’appel dans Pacific West illustre la nécessité de choisir soigneusement le libellé exact à utiliser dans un bail, de manière générale et plus particulièrement dans un examen du loyer. Tel qu’indiqué ci-dessus, l’objectif de l’évaluation dans Pacific West était de déterminer le « juste loyer marchand ». La cour a distingué cet objectif du calcul de la « juste valeur marchande », qui était l’objectif, par exemple, dans No. 100 Sail View Ventures Ltd. v. Janwest Equities Ltd. [Janwest],10 une décision antérieure de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique où le bail restreignait l’utilisation du terrain à l’exploitation d’un hôtel. Dans Janwest, la majorité de la cour tenait que la juste valeur marchande de la terre nue devrait être déterminée sans aucune référence au bail. (Janwest est fidèle au jugement applicable de Gonthier J. dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Musqueam Indian Band v. Glass11.) Dans Pacific West, la Cour d’appel était d’avis qu’en modifiant l’objectif de l’évaluation au calcul du juste loyer marchand, la disposition d’utilisation restreinte devient centrale.

Cette distinction de Pacific West entre le « loyer courant » et la « juste valeur marchande » avait un précédent juridique. Dans Bondi v. Toronto (City), 1967 CarswellOnt 180 (Ont. C.A.), la Cour d’appel de l’Ontario a examiné le loyer à payer au renouvellement d’un bail. La cours tenait que l’arbitre avait bien compris qu’il devait fixer la valeur locative entre le locateur et le locataire, et non la valeur de vente comme si elle avait lieu entre un vendeur et un acheteur. Tenant compte de cela, la cour a invoqué Thompson and City of Toronto (Re), [1928] O.J. No. 196 (QL) (Ont. S.C. – Appellate Div.).12

Appréciation des tribunaux du terme « juste loyer marchand »

Une question soulevée par les décisions dans Pacific West est à savoir si l’utilisation du « juste loyer marchand » dans une clause d’examen du loyer entraînera toujours des restrictions d’utilisation considérées pour déterminer le loyer. Tel qu’indiqué dans le premier paragraphe de cet article, la réponse est… peut-être. En premier lieu, Pacific West est une autorité obligatoire en Colombie-Britannique, mais nulle part ailleurs au Canada. D’autres tribunaux (et arbitres) pourraient être persuadés par le raisonnement de la Cour d’appel, mais ils ne sont pas tenus de suivre la décision. [Au moment d’écrire ces lignes, on rapporte trois décisions canadiennes prenant en considération la décision de la Cour d’appel dans Pacific West, alors qu’aucune d’entre elles n’aborde la question de l’effet des utilisations restreintes dans la détermination du juste loyer marchand.] En second lieu, même si le terme « juste loyer marchand » est employé dans un bail, c’est toujours une question d’interpréter la prise en compte du bail entier à savoir si le locateur et le locataire veulent que l’on tienne compte des restrictions pour modifier le loyer.

Une recherche dans les bases de données juridiques canadiennes donne des cas subséquents à Pacific West qui abordent la signification de « loyer courant » et « juste loyer marchand », mais ils ne couvrent pas généralement les examens de loyers et sont probablement plus des cas traitant d’évaluation immobilière et d’expropriation. Les cas traitant d’examens de loyers portent sur des enjeux autres que
l’effet des dispositions d’utilisation restreinte pour déterminer un loyer.

Position par défaut pour envisager des restrictions d’utilisation

On peut faire valoir que l’essence de Pacific West n’est pas la signification de la Cour d’appel attribuée au terme « juste loyer marchand », mais plutôt l’adoption tant par la Cour suprême de la Colombie-Britannique que la Cour d’appel de la notion que sauf indication contraire, elle sera considérée comme la position par défaut à l’effet que, dans un examen du loyer, les restrictions sur l’utilisation seront prises en considération. Cette position par défaut exprimée dans Basingstoke a obtenu la faveur dans certaines décisions de tribunaux canadiens, mais il n’existe pas une pléthore de cas sur le sujet qui permettent de tirer des conclusions définitives à cet égard.13

Il y a des cas à l’extérieur du Canada qui endossent Basingstoke et au moins un citant Pacific West. La Western Australian Court of Appeal citait les deux cas lorsqu’elle tenait dans City of Subiaco v. Homebase Management Pty Ltd14 que le « loyer courant » dans un bail foncier montrait une intention que le loyer modifié soit basé sur l’utilisation restreinte réelle plutôt que sur l’utilisation optimale.

Conclusion

Pour tous ces motifs, nous pouvons tirer les conclusions suivantes :

  • Garder à l’esprit l’objectif commercial d’une clause
    d’examen du loyer.
  • Il y a peut-être une clause par défaut si l’on envisage d’utiliser des restrictions dans un examen du loyer, en l’absence d’une indication expresse du contraire.
  • Mais, s’il existe une telle clause par défaut, un bail peut employer un langage qui la remplace.
  • Un objectif d’évaluation du « juste loyer marchand » pourrait être considéré comme l’indication que les conditions d’un bail, y compris les restrictions d’utilisation, doivent être prises en considération dans un examen du loyer.

Le meilleur conseil qu’on puisse donner aux rédacteurs et aux négociateurs des baux est d’être précis; si des restrictions d’utilisation doivent être prises en considération dans un examen du loyer, déclarez-le expressément dans le document du bail.

Le présent article s’est limité à l’examen des restrictions d’utilisation qui sont des conditions dans des baux fonciers et à l’impact qu’elles pourraient avoir sur les examens de loyers. Je n’ai pas étudié les cas où les restrictions d’utilisation sont imposées par la loi. Qui plus est, il y a beaucoup de considérations potentielles qui pourraient ou non être pertinentes dans un examen du loyer, selon ce qu’on détermine être l’intention des parties lorsqu’elles concluent un bail.

En préparant cet article, j’ai trouvé une grande variété d’articles traitant les divers aspects des examens de loyers dans des bails fonciers. Trois ont été particulièrement utiles : Arbitrating the Value of Property: Approaches and Challenges15 par Wendy J. Earle; Arbitrating ‘Rent’ – A Case Study of the Arbitration Process and Contract Interpretation”16 par Cynthia Kuehl et Rivka Birkan-Bradley; et Ground Leases: Rent Reset Valuation Issues17 par Tony Sevelka.

Notes en fin de texte

  1. 2003 BCSC 391 confirmé 2004 BCCA 247
  2. 2010 TCC 530, paragr. 7
  3. The Dictionary of Real Estate Appraisal, 6e éd. (Appraisal Institute, 200 W. Madison, Suite 1500, Chicago, IL, 2015)
  4. Creston Moly Corp. v. Sattva Capital Corp., 2014 TCC 53 aux paragr. 47, 57, 58; Park Royal Shopping Center Holdings Ltd. v. Gap (Canada) Inc., 2017 BCSC 1257, paragr. 51, 52
  5. Basingstoke and Deane Borough Council v. Host Group Ltd., [1988] 1 WLR 348 (Eng. C.A.) citant British Gas Corporation v. Universities Superannuation Scheme Ltd. [1986] 1 W.L.R. 398, 401; adopté dans Pacific West et d’autres cas canadiens.
  6. (1997), 153 D.L.R. (4th) 291 (Ont. C.A.)
  7. [1988] 1 All E.R. 824 (Eng. C.A.)
  8. (1997), 153 D.L.R. (4th) 291 (Ont. C.A.), paragr. 18
  9. 2004 BCCA, paragr. 13
  10. (1993), 84 B.C.L.R. (2d) 273 (B.C.C.A.), autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée (1994), 39 R.P.R. (2d) 60n
  11. 2000 SCC 52
  12. 1967 CarswellOnt 180, paragr. 8
  13. Pour des exemples, voir Inglis, Ladoski v. British Columbia Assets & Land Corp., 2002 BCSC 114, paragr. 8-11; Revenue Properties Co. v. Victoria University, 1993 CarswellOnt 722 (Ont. C.J. (General Division), paragr. 51
  14. [2015] WASCA 54, paragr. 61
  15. Annual Review of Civil Litigation 2004, Thomas Reuters Canada Limited
  16. Annual Review of Civil Litigation 2015, Thomas Reuters Canada Limited
  17. The Appraisal Journal, automne 2011, pages 314-326

Cet article est fourni dans le but de susciter la discussion et d’informer les professionnels de certains défis présentés dans la loi. Il ne doit pas être considéré comme un avis juridique. Les questions soulevées par les enjeux discutés ici devraient être soumises à des praticiens qualifiés du droit et de l’évaluation.