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Aspects du processus disciplinaire de l’ICE – le contrat et la Charte

Évaluation immobilière au Canada

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2020 – Volume 64 – Tome 1
Aspects du processus disciplinaire de l’ICE – le contrat et la Charte
John Shevchuk, avocat et notaire, C.Arb, AACI(Hon)

QUESTIONS JURIDIQUES

Aspects du processus disciplinaire de l’ICE – le contrat et la Charte

Par John Shevchuk, avocat et notaire, C.Arb, AACI(Hon)

Les paragraphes qui suivent examinent deux récents procès en Ontario concernant les aspects du processus disciplinaire administré par des associations bénévoles comme l’Institut canadien des évaluateurs (ICE). Le premier procès confirme que les membres d’une association bénévole ont droit à une procédure équitable, selon la nature de la relation qu’ils entretiennent avec leur association et l’incidence qu’une décision pourrait avoir sur eux. Le second procès donne un exemple de la façon dont la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) pourrait influencer une audience disciplinaire.

Organisations bénévoles régies par contrat

Dans des articles passés, j’ai parlé de la nature contractuelle de la relation entre l’ICE et ses membres. La récente décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Aga v. Ethiopian Orthodox Tewahedo Church of Canada[i] [Aga] renforce la nature de cette relation.

Dans Aga, cinq membres de longue date (le groupe) de l’Ethiopian Orthodox Tewahedo Church of Canada St. Mary Cathedral (la congrégation) ont siégé à un comité pour enquêter sur un mouvement hérétique allégué au sein de l’église. Dans le temps voulu, le comité a tiré des conclusions et fait des recommandations, dont aucune n’a été retenue. Insatisfait, le groupe a commencé à critiquer les dirigeants de l’église. Le groupe a été averti par correspondance qu’il serait expulsé s’il continuait à exprimer son insatisfaction avec la décision de ne pas appliquer les recommandations, mais il a persisté. Quelques mois plus tard, le groupe été avisé par lettre de la part de l’archevêque que, semble-t-il, selon la constitution et les règlements de la congrégation, leur adhésion avait été suspendue. Peu après, le groupe a été avisé que les étapes requises avaient été suivies pour les expulser de la congrégation. Le groupe a engagé une poursuite, demandant une déclaration à l’effet que l’expulsion était nulle et non avenue. L’église intimée et certains membres de la congrégation ont déposé une requête sommaire de rejeter la poursuite, arguant qu’il n’y avait pas de contrat entre les parties et que, par conséquent, il n’y avait rien à plaider. Le juge était d’accord avec la requête sommaire, mais lorsque le cas été soumis à la Cour d’appel de l’Ontario, la décision du tribunal inférieur a été renversée et le groupe a pu reprendre sa poursuite.

La Cour d’appel s’est appuyée fortement sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Senez v. Montreal Real Estate Board[ii] qui déclarait, en partie, que lorsqu’un individu se joint à une association bénévole :

Il accepte sa constitution et les règlements alors en vigueur et il contracte l’obligation de les observer. En acceptant la constitution, il s’engage aussi d’avance à observer les règlements qui seront régulièrement adoptés plus tard par la majorité des membres habiles à voter, et ce, même s’il n’est pas d’accord avec ces changements. D’ailleurs, il pourrait généralement démissionner alors qu’en restant il accepte les nouveaux règlements. La corporation pourrait lui réclamer en justice les arrérages de la cotisation fixée par règlement. Cette réclamation ne serait-elle pas de nature contractuelle? Quelle autre source pourrait-elle bien avoir en l’instance? Il me paraît que l’obligation de la corporation de fournir les services convenus et d’observer ses propres règlements, en ce qui concerne l’expulsion d’un membre comme à tous autres égards, est pareillement de nature contractuelle.

Dans Aga, la Cour d’appel de l’Ontario affirmait qu’une constitution et des règlements écrits constituent un contrat et en apprenant qu’un contrat existe, on s’attend à une procédure équitable. Les exigences de ladite procédure dépendront des circonstances mais, au minimum, lorsqu’il s’agit d’expulsion, cela implique des avis, l’opportunité de faire des représentations et un tribunal impartial.[iii]

L’organisation et ses membres sont liés par les termes de la constitution et des règlements, et le tribunal possède la compétence pour déterminer si les règles de l’association bénévole ont été respectées.[iv]

Charte des droits dans les audiences disciplinaires

Compte tenu du droit à une procédure équitable, la Charte canadienne des droits et libertés a-t-elle un rôle à jouer dans le processus disciplinaire administré par l’ICE ? La récente décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) dans College of Veterinarians of Ontario v. Choong,[v] [Choong] jette plus de lumière sur le sujet.

Choong, un vétérinaire, avait été accusé d’infractions liées à la pornographie juvénile, qui ont éventuellement été retirées parce que, selon la Charte, les droits de Choong contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives avaient été violés. Cependant, l’Ordre des vétérinaires de l’Ontario, apprenant les accusations, a obtenu la preuve policière et entrepris des procédures disciplinaires contre Choong pour inconduite professionnelle. À l’audience du comité de discipline, Choong a demandé à celui-ci d’émettre une ordonnance excluant ladite preuve parce qu’elle avait été obtenue en violation de ses droits. Il y avait un exposé conjoint des faits, entre autres choses, stipulant que trois violations de la Charte étaient survenues. Par conséquent, le comité n’a eu qu’à déterminer s’il y avait lieu d’exclure la preuve, en vertu des articles 24(1) et (2) de la Charte :

(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente Charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente Charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

L’application de l’article 24 demandait que l’on prenne en considération trois facteurs précisés dans la décision de la Cour suprême du Canada dans R. v. Grant[vi] (Grant) :

  • la gravité de la conduite attentatoire contre la Charte;
  • l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte;
  • l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.

La majorité des membres du comité ont conclu que l’impact des violations des intérêts protégés par la Charte justifiait l’exclusion de la preuve, car ils n’étaient pas convaincus que l’intérêt collectif était plus important dans une procédure disciplinaire professionnelle que dans une procédure criminelle. La majorité du conseil a donc ordonné d’exclure la preuve policière.

L’Ordre des vétérinaires en a appelé au tribunal pour qu’il annule la décision du comité. Le tribunal a conclu que la décision du comité n’était pas raisonnable, en grande partie parce que en considérant le second facteur, la majorité s’est appuyée sur une décision du tribunal qui n’était pas applicable dans les circonstances. La décision du comité d’exclure la preuve policière a donc été annulée et l’affaire a été renvoyée au comité pour qu’il reconsidère si la preuve devrait être exclue.

Une chose intéressante par rapport au troisième facteur dans Grant est le passage suivant au paragraphe 71 de Choong :

71    De plus, si l’on peut conclure que la Couronne a déterminé qu’il y avait peu d’intérêt sociétal à déposer des accusations criminelles, le même raisonnement n’est pas strictement applicable au contexte disciplinaire. Le comité de discipline n’a pas tenu compte de la distinction, comme l’expliquait le juge Belobaba dans Kelly v. Ontario, 2014 ONSC 3824 (Ont. S.C.J.), au paragraphe 36 :

Néanmoins, même s’il y a inconduite policière grave dans une procédure criminelle et si la preuve obtenue illégalement est ou pourrait avoir été exclue en vertu de l’article 24(2), il ne s’ensuit pas que la même preuve soit ou devrait être exclue dans une procédure civile ou administrative. Le message fort envoyé par la Cour suprême dans la série de cas Mooring to Conway discutés plus tôt est à deux volets : un, la preuve exclue dans les procédures criminelles pourrait bien être admise dans les procédures administratives parce que le contexte de l’article 24(2) en termes d’enquête civile ou administrative est très différent; et deux, comme les tribunaux administratifs spécialisés sont les plus compétents pour rendre une décision en vertu de l’article 24(2), ils devraient avoir la liberté de le faire.

Même si l’article 24(2) de la Charte évoque la cour et non d’autres tribunaux, rien n’indiquait dans Choong que le comité n’avait pas la compétence pour trancher sur la demande d’exclure la preuve. En fait, la décision de Kelly, utilisée dans Choong, songe expressément à des tribunaux administratifs ayant la compétence de trancher sur des applications de l’article 24.

Alors que l’on s’attend à ce que les cas soient rares, Choong donne à penser que : 1) il pourrait y avoir des circonstances donnant lieu à un recours aux droits de la Charte et à l’exclusion possible de la preuve dans une audience disciplinaire de l’ICE; et 2) si de telles circonstances surviennent, le jury du Comité d’arbitrage devra se livrer à une analyse des facteurs présents dans Grant pour décider si la preuve devrait être admise. Comme l’indique la citation de Kelly ci-dessus, le fait que la preuve ait été obtenue illégalement dans une procédure criminelle ne l’empêche pas nécessairement d’être admise dans une audience disciplinaire.

Notes en fin de texte

[i] 2020 ONCA 10

[ii] [1980] 2 RCS 555, pp. 566-567

[iii] Aga, parag. 40, 41

[iv] Aga, parag. 43, 45

[v] 2019 CSON 946, demande d’autorisation d’appel à la CSC rejetée 2020-02-06

[vi] 2009 CSC 32

Le présent article a pour but de susciter les discussions et d’indiquer aux professionnels certaines difficultés que posent la loi et la pratique de l’évaluation. Il ne doit pas servir d’avis juridique. Toute question soulevée par des circonstances particulières devrait être adressée à des juristes et des évaluateurs qualifiés.