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Aspects du travail d’évaluation au Nunavut

Évaluation immobilière au Canada

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2020 – Volume 64 – Tome 3
Aspects du travail d’évaluation au Nunavut
John E. Farmer, AACI, P. App., MRICS, Q.Arb

Par John E. Farmer, AACI, P. App., MRICS, Q.Arb

Introduction

Le territoire du Nunavut est immense. Il s’étend sur trois fuseaux horaires et sur quelque 2,093 millions de kilomètres carrés. Cela représente 21 % de la superficie totale du pays. Pourtant, seulement 38 000 personnes se déclarent habitants du Nunavut. En perspective, si vous invitez toutes ces personnes à un match de baseball des Blue Jay au Rogers Centre de Toronto (capacité de 53 500 personnes), il y aura encore beaucoup de places disponibles. Cet article porte sur les terres et le régime foncier au Nunavut du point de vue d’un évaluateur.

Transport et matériaux de construction

Le transport aérien est essentiel pour se déplacer dans le Nord, car il n’y a pas de routes entre les principales communautés arctiques. Les livraisons en vrac de matériaux de construction, de véhicules, d’équipement lourd, d’articles ménagers et d’articles non périssables, etc. sont assurées par Sealift aux communautés. Selon l’état des glaces de mer, le transport maritime dessert le Nord entre la fin juin et la fin octobre. Il reste le moyen le plus économique de transporter des marchandises en vrac vers l’Arctique. Mais, avec une fenêtre d’opération aussi étroite, les communautés nordiques les plus éloignées peuvent n’obtenir qu’une seule livraison par an. Les nouveaux projets de construction nécessitent une planification logistique considérable, car une palette de fenêtres non livrée pourrait entraîner des frais de transport aérien élevés pour respecter un calendrier de construction serré.

Comparativement à un budget de construction pour un projet dans le Sud, le travail dans le Nord comprendrait probablement des coûts supplémentaires importants pour le transport des matériaux (via Sealift), les vols et l’hébergement des ouvriers, les coûts de chauffage en hiver, etc. qui peuvent faire augmenter le coût de 25 % ou plus. Un évaluateur prudent devrait adopter une approche fondée sur les coûts dans son analyse, car le principe simple de substitution est une mesure clé pour déterminer la valeur marchande.

Accord sur les revendications territoriales du Nunavut

La journée du Nunavut est célébrée chaque année le 9 juillet, marquant le jour où le Parlement canadien a adopté la Loi concernant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut

 (ARTN) et la Loi sur le Nunavut

Le Nunavut s’est officiellement séparé des Territoires du Nord-Ouest le 1er avril 1999. À ce jour, l’ARTN demeure la plus grande revendication territoriale de l’histoire du Canada et les évaluateurs qui y travaillent doivent être conscients qu’ils sont à tout moment les hôtes des Inuits et que les propriétés qu’ils évaluent sont, dans la plupart des cas, soumises à des baux fonciers accordés par les Inuits.

Les 41 articles de l’ARTN abordent une série de droits et de préoccupations politiques et environnementaux, notamment les droits de gestion et d’exploitation de la faune, les régimes de gestion des terres, de l’eau et de l’environnement, les parcs et les zones de conservation, les ressources patrimoniales, l’emploi et la passation de marchés dans le secteur public, ainsi que d’autres questions, telles que le titre de propriété des terres appartenant aux Inuits.

Les principales caractéristiques de l’accord sont les suivantes :

  • L’ARTN a donné aux Inuits du Nunavut le titre de propriété sur environ 350 000 km² de terres, dont 35 257 km² comprennent les droits miniers;
  • Le droit de récolter la faune sur les terres et les eaux de l’ensemble du territoire;
  • Une part des redevances provenant de l’exploitation du pétrole, du gaz et des minéraux sur les terres de la Couronne;
  • Le droit de négocier avec l’industrie pour jouir des retombées économiques et sociales du développement des ressources non renouvelables sur les terres appartenant aux Inuits;
  • Une représentation égale des Inuits et du gouvernement dans les nouveaux conseils d’administration chargés de la gestion de la faune, des ressources et de l’environnement;
  • La création de trois parcs nationaux financés par le gouvernement fédéral; et
  • Les paiements de transfert de capitaux pour la création du gouvernement du Nunavut.

Terres municipales

L’article 14.8 de l’ARTN traite des restrictions de l’aliénation des terres municipales. En effet, « la municipalité ne peut vendre, céder ou créer, relativement à ces terres, des intérêts ou droits qui : a) sont d’une durée supérieure à 99 ans, y compris toute période de renouvellement; ou b)  prennent naissance dans plus de 99 ans ».

Toutefois, l’ARTN a permis la tenue d’un référendum « en tout temps après l’expiration d’une période de 20 ans » afin de permettre aux électeurs municipaux de choisir par référendum de lever cette restriction. Un référendum a eu lieu en 2016 et les électeurs ont voté en faveur du maintien du statu quo. 

Les baux fonciers standard

Une grande partie des terres du territoire sont désignées comme appartenant aux Inuits ou comme terres de la Couronne, il est donc peu probable qu’un évaluateur trouve la propriété à évaluer sur un titre en fief simple. Il existe quelques parcelles en fief simple à Iqaluit, mais il est peu probable qu’elles soient détenues par des personnes physiques ou morales non inuites. La Loi constitutionnelle exige que les personnes nommées par le Sénat possèdent au moins 4 000 dollars de terres. En 2016, le sénateur du Nunavut Dennis Patterson a présenté une motion[1] visant à modifier la Loi constitutionnelle[2] à la lumière des questions entourant l’interprétation de la notion de « propriété foncière » au Nunavut.

Avant la création du Nunavut en 1999, de nombreux baux fonciers avaient été accordés par le commissaire des Territoires du Nord-Ouest. Ces simples documents de bail foncier étaient structurés selon des paramètres de base, tels que l’indication d’une durée déterminée (généralement 30 ans) et d’un loyer annuel (susceptible d’être modifié tous les cinq ans). 

L’ajustement du taux de location était basé sur un amendement émis par le sous-ministre. Dans les baux que j’ai examinés, il n’y avait pas de clause d’arbitrage, juste une disposition prévoyant que « la détermination de la juste valeur estimée sera faite par la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest » si le locataire ne trouve pas le nouveau taux acceptable.

Les baux fonciers standard comprennent généralement une clause d’« utilisation des terres » déterminant la catégorie d’occupation (résidentielle, industrielle, commerciale, etc.), qui est généralement alignée sur le plan municipal. Cela permet d’utiliser le terrain au mieux et au maximum, comme si l’analyse de la vacance était quelque peu discutable, puisque l’utilisation du terrain est liée à la réserve d’utilisation autorisée dans le bail.

Le bail peut inclure une clause de construction, car on s’attend à ce que l’occupant du terrain construise quelque chose sur ce terrain. La clause de construction mentionne non seulement la valeur minimale attendue du projet de construction, mais aussi le délai d’achèvement de la construction (généralement deux ans), les travaux devant commencer dans les six mois suivant la date de prise d’effet du début du bail. Si le locataire ne construit pas, il existe une clause qui met potentiellement fin au bail. Du point de vue de la gestion des terres municipales, cette clause garantit que le terrain est pleinement utilisé au profit de la communauté.

Les baux fonciers standard tiennent également compte de ce qu’il advient des améliorations apportées au terrain à la fin du terme. Des dispositions peuvent prévoir que le terrain sera remis dans son état d’origine (toutes les améliorations enlevées, à l’exception des remblais pour les routes, les fondations, etc. qui pourraient encore être utiles) et que le terrain sera remis dans un état à la satisfaction du sous-ministre.

Les baux fonciers standard que j’ai vus ne comportaient pas de clause de renouvellement, ce qui signifie que le locataire devrait renégocier un nouveau bail sans aucune garantie qu’il puisse continuer à occuper le terrain au-delà de la durée du bail initial.

Au fur et à mesure que les communautés se développent, les municipalités élaborent des plans pour créer des terrains pour une utilisation future et les proposent à la location. La municipalité prendra en charge les coûts de création des routes et d’installation des lignes électriques dans ces zones d’expansion. Notez que toutes les communautés ne disposent pas de services d’eau et d’égouts souterrains, et que les bâtiments qui ne sont pas raccordés au réseau souterrain sont donc pourvus de services d’eau et d’assainissement par un service de camions-citernes pour l’approvisionnement et l’extraction (mais pas en même temps au même camion). Les services de chauffage comprennent généralement une chaudière ou une fournaise à mazout avec un réservoir de stockage de mazout sur place. L’énergie solaire serait un défi pendant les mois d’hiver, pour des raisons évidentes.

Il convient de mentionner que de nombreux bâtiments sont construits au-dessus du sol, soutenus par une structure en acier et des pieux en acier enfoncés jusqu’à la roche-mère. Cela permet de développer le terrain au-dessus d’un relief accidenté. Le vide sanitaire vise à éviter le réchauffement des couches de pergélisol en dessous, car cela entraînerait un soulèvement du sol. Si jamais vous avez affaire à Iqaluit, jetez un coup d’œil sur le nouveau centre aquatique (2018) doté d’une piscine de 25 mètres à six couloirs et des installations de loisirs, toutes construites en surface, avec un vide sanitaire sous la superstructure du bâtiment. Certains bâtiments sont construits au sol, comme le nouveau terminal. Cependant, si vous regardez de près, ils sont équipés d’un système de refroidissement passif « Thermosyphon ».

Soit dit en passant, les bâtiments sont numérotés séquentiellement dans les communautés. De cette façon, les pompiers peuvent trouver l’emplacement exact de la maison ou du bâtiment.

Baux fonciers post-ARTN

Après la proclamation de la Loi concernant l’ARTN et de la Loi sur le Nunavut, les corporations municipales ont mis à jour leurs règlements afin de les rendre plus clairs et de les aligner sur cette nouvelle législation. Bien qu’ils aient des pouvoirs (par exemple, en vertu de la Loi sur les hameaux), les hameaux voulaient établir un processus uniforme actualisé pour la cession des biens immobiliers appartenant à une municipalité, loués ou détenus d’une autre manière. Par exemple, la corporation municipale du hameau de Pond Inlet, par le biais de son règlement sur l’administration des terres (approuvé le 2 février 2002), souligne certaines dispositions que l’évaluateur devrait noter.

Dans le règlement de Pond Inlet, la tarification des nouveaux lots (aménagés après le 31 mai 1997) est basée sur les coûts d’aménagement connus, y compris les dispositions pour les facteurs spécifiques au site. Ces facteurs spécifiques comprennent la taille de la parcelle, l’état, l’opportunité de l’emplacement, les utilisateurs des terrains adjacents, l’utilisation historique du lot et les utilisations proposées des terrains. L’ajustement peut être appliqué en ajoutant ou en soustrayant 25 % des coûts de développement des nouveaux lots.

Étant donné que le prix d’un nouveau lot est fixé sur la base des coûts de développement, un « ancien lot » pourrait potentiellement avoir vu ses coûts de développement payés. Le règlement municipal tient compte de ce fait et stipule que le prix du lot sera déterminé soit par le coût de remplacement, soit par la valeur du marché telle que déterminée par un évaluateur ou un expert foncier qualifié, soit par un appel d’offres par adjudication publique (à condition que la réserve ne soit pas inférieure au coût de remplacement).

Baux en équité

Un contrat de location avec participation au capital permet au locataire de payer le solde du prix du lot et les prélèvements hors site à la signature du bail. Cette « avance » du loyer est considérée comme l’équité du locataire dans l’occupation future du terrain.   

Il reste la disposition selon laquelle le locataire paie un loyer annuel. À Iqaluit, les frais de location annuels peuvent s’élever à 1 $ par an. À Pond Inlet, il est de 50 $ par an, conformément au règlement.

En vertu de l’ARTN, à tout moment après 20 ans, un référendum peut être organisé sur le maintien ou la modification du système de titres de location du territoire. Un vote a eu lieu en 2016 sur la question suivante : « Voulez-vous que la municipalité de (nom de la ville ou du hameau) puisse vendre des terres municipales ? » Le résultat a été « Non ». L’ARTN laisse ouverte la possibilité que de futurs référendums puissent encore avoir lieu (à tout moment après le 20e anniversaire). Si un futur référendum permettait la vente de terres au Nunavut, le titre de propriété en fief simple du lot pourrait être disponible pour être transféré au locataire.

Les baux établis après la création du Nunavut sont susceptibles de faire référence à la clause du bail en équité et du référendum. Il y a toutefois un chevauchement pour les baux fonciers standard. Dans ce cas, un locataire (à Pond Inlet par exemple) qui détient un bail non participatif peut demander un bail participatif en vertu de l’article 34 « …le coût d’un ancien lot sera basé sur le coût de remplacement du lot et les frais de location payés à ce jour seront déduits de ce coût ».

Si le locataire souhaite renoncer à son bail en équité, il a droit à un remboursement de l’équité, déduction faite de la caution (5 %) du prix du lot.

Baux en équité – garantie de remplacement

L’une des principales caractéristiques du bail en équité est peut-être l’inclusion d’une clause de garantie de remplacement. Par exemple, un bail en équité avec la ville d’Iqaluit pour une durée de 30 ans pourrait stipuler que « la ville, à l’expiration de ladite durée, doit accorder au locataire un nouveau bail de la terre pour une nouvelle durée de trente (30) ans, à un taux de location d’un (1,00 $) dollar par an et sous réserve des mêmes engagements … (à l’exception de cette clause) ». En effet, le locataire a potentiellement un droit d’occupation de 60 ans sur le terrain. Ceci est important pour les actifs à vocation d’investissement.

Il faut se rappeler que, dans le cadre de la capitalisation des revenus, le taux de capitalisation est appliqué au résultat net d’exploitation stabilisé. L’indication de la valeur est donc basée sur l’hypothèse que l’acheteur perçoit le revenu net d’exploitation stabilisé à perpétuité. Les évaluateurs connaissent bien la notion de valeur actuelle. La réalité est que, sur l’horizon temporel, plus on regarde loin dans le futur, plus la valeur actuelle de ces revenus futurs sera faible. La valeur actualisée de 1,00 $ à 7,0 % tombe à moins de 0,01 $ après 55 ans. Il faudrait au moins 63 ans pour que la valeur actuelle de 1,00 $ soit inférieure à 0,01 $ par an.

Idéalement, lors de l’évaluation des actifs d’investissement dans le cadre de baux de terrains en équité, il est utile de tenir compte de la durée initiale restante du bail et de savoir si le bail prévoit une garantie de remplacement. Si la durée non expirée du bail est, par exemple, supérieure à 50 ans, la méthode du revenu pourrait alors faire référence à la capitalisation des revenus comme test de valeur. Toutefois, une analyse des flux de trésorerie serait également recommandée, l’évaluateur calculant un flux de trésorerie actualisé (sans retour) pour fournir une analyse secondaire.   

Le mécanisme de vente des actifs améliorés dans le territoire est donc réalisé par la cession de l’intérêt du bail foncier. Comme dans l’exemple du règlement d’administration des terres de Pond Inlet, on parle de « transfert ».

Résumé

Travailler dans le Nord exige une résistance à l’environnement et une capacité à être flexible, surtout si votre vol est annulé pendant quatre jours à cause du brouillard glacé. En tout temps, vous êtes un visiteur sur les terres inuites et une compréhension de base de l’utilisation des terres est essentielle au processus d’évaluation.

  • Le territoire du Nunavut est issu de la Loi concernant les revendications territoriales du Nunavut et de la Loi sur le Nunavut adoptées il y a un peu plus de 20 ans.
  • Une disposition de l’ARTN stipulait que les municipalités ne pouvaient pas vendre, céder ou créer des intérêts ou des droits sur ces terres qui dépasseraient 99 ans.
  • Les baux fonciers sont généralement d’une durée de 30 ans, avec une option de renouvellement de 30 ans; cependant, la durée totale ne peut dépasser 99 ans.
  • En effet, il n’existe pas, dans la plupart des cas, de terres en fief simple commercialisables sur le territoire.
  • Les baux en équité sont des baux fonciers dans lesquels le locataire effectue des paiements qui sont crédités sur le prix du lot principal (ajusté en fonction des intérêts et des frais de service appropriés).
  • L’ARTN prévoit la tenue d’un référendum auprès des électeurs du Nunavummiut leur demandant : « Voulez-vous que la municipalité de _____ puisse vendre des terres municipales ? Oui ou non ».
  • Le dernier vote en mai 2016 a été « non », ce qui signifie que la municipalité conserverait la propriété de toutes les terres municipales et continuerait à les louer.
  • En vertu de l’ARTN, si le vote était « oui », les municipalités pourraient convertir les baux fonciers existants en titres en fief simple.
  • L’ARTN permet la tenue de futurs référendums.

Lectures complémentaires : 

NUPPEC 2020 – Section 5.10

Accord sur les revendications territoriales du Nunavut https://www.gov.nu.ca/sites/default/files/Nunavut_Land_Claims_Agreement.pdf

Loi sur le Nunavut https://laws-lois.justice.gc.ca/eng/acts/n-28.6/page-1.html#h-369707  

« Dear Qallunaat (white people) » par Sandra Inutiq https://www.cbc.ca/news/canada/north/dear-qallunaat-white-people-inuit-sandra-inutiq-1.5020210


[1] https://lop.parl.ca/sites/PublicWebsite/default/en_CA/ResearchPublications/LegislativeSummaries/421S221E

[2] https://www.cbc.ca/news/canada/north/dennis-patterson-nunavut-senator-land-requirement-1.3492697