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Covenants courant avec un terrain

Évaluation immobilière au Canada

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2014 – Volume 58 – Tome 3
Covenants courant avec un terrain
John Shevchuk

Par John Shevchuk, avocat-procureur, C.Arb, AACI (Hon)

Le scénario

Imaginez qu’un acheteur potentiel vous demande d’évaluer un centre commercial situé dans un quartier résidentiel en rapide croissance insuffisamment desservi par des stations d’essence. Il y en a bien une au centre commercial, mais vous concluez que la demande du marché justifie aisément l’ouverture d’une seconde station d’essence au centre commercial et qu’un locataire n’hésitera pas à payer un fort loyer pour avoir la chance d’y exploiter une station. Toutefois, dans votre investigation sur le bien immobilier, vous découvrez que le bail visant la station d’essence existante comporte la disposition suivante :

Pour la durée du présent bail, le locateur ne peut conclure de bail ou être partie à tout bail si son terrain servirait à une station d’essence.

La disposition constitue-t-elle une interdiction absolue d’exploiter une seconde station d’essence au centre commercial ? La disposition de ce bail devrait-elle influencer votre opinion de la valeur ? La réponse à ces questions dépend de si la disposition est un covenant qui court avec le terrain.

Caractéristiques des covenants courant avec un terrain

Les covenants courant avec un terrain ressemblent un peu à des servitudes. Les deux créent un bénéfice pour une parcelle de terrain (fonds dominant) et une charge correspondante pour une autre parcelle de terrain (fonds secondaire). On dit des servitudes qu’elles courent avec le terrain parce que le propriétaire du fonds dominant peut imposer la servitude au propriétaire du fonds secondaire, peu importe si les propriétaires de chaque parcelle sont les parties à l’origine de la servitude. On dit aussi des covenants assortis de ce caractère exécutoire qu’ils courent avec le terrain.

Les tribunaux déclarent souvent qu’il existe une politique « favorisant la concurrence et l’aliénabilité », avec pour résultat que les covenants restrictifs, y compris ceux qui courent avec le terrain, doivent être interprétés à la lettre; le tribunal maintiendra la portée du covenant plutôt que de l’étendre.

Un covenant sera réputé courir avec le terrain en présence des éléments suivants :

  1. le covenant est négatif en substance, créant une charge sur le terrain du covenantant, de manière semblable à une servitude;
  2. le covenant touche et concerne le terrain en ceci qu’il avantage ou augmente la valeur du terrain bénéficiaire;
  3. le document créant le covenant doit définir clairement le terrain bénéficiaire et le terrain assujetti;
  4. l’accord doit stipuler que le covenant est imposé au terrain du covenantant pour protéger le terrain identifié du covenantaire;
  5. sauf dans les cas permis par la loi, le titre du terrain bénéficiaire et le titre du terrain assujetti doivent être enregistrés; et
  6. sauf dans les cas permis par la loi, le covenantaire et le covenantant ne peuvent être la même personne.

Seuls les deux premiers éléments feront l’objet d’un examen dans les présentes.

Covenants positifs et négatifs

Il faut comprendre comment la loi distingue les covenants positifs des négatifs, car le premier ne peut créer de covenant qui court avec le terrain. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta décrivait comme suit la différence entre un covenant négatif et un covenant positif :

Les parties errent en associantles « covenants positifs » à des choses qui bénéficient au terrain et les « covenants négatifs » à des choses qui assujettissent le terrain. Un covenant est positif quand le covenantant promet de faire quelque chose. Un covenant est négatif quand le covenantant promet de ne pas faire quelque chose.

L’explication de la différence semble assez simple, mais dans la pratique, les résultats peuvent être compliqués. Prenons pour exemple les covenants suivants examinés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique :

…Whitlam s’engage et consent par la présente à ne pas utiliser le terrain de Whitlam pour toute autre fin qu’un parcours de golf…
Whitlam s’engage en outre avec Thousand Trails à entretenir le parcours de golf sur le terrain de Whitlam d’une manière convenant à son usage comme parcours de golf et pour ses besoins de réparation considérée généralement comme acceptable pour des parcours de golf comparables.

Il y avait également une disposition exigeant des tarifs préférentiels pour certains golfeurs.

Au procès, on a constaté qu’il existait trois covenants distincts : 1) ne pas utiliser le terrain pour toute autre fin qu’un parcours de golf; 2) maintenir le parcours de golf à un standard acceptable; et 3) offrir des tarifs préférentiels. Le savant juge de première instance considérait que les second et troisième covenants étaient positifs, mais que le premier était négatif en substance. La Cour d’appel différait d’opinion, arguant que, même si la première partie de l’accord employait un langage négatif, le covenant était positif en substance. Il fallait lire l’accord comme un tout; le document montrait une intention par les parties à l’effet que le terrain soit utilisé comme un parcours de golf et seulement comme un parcours de golf. Comme le covenant n’était pas négatif en substance, il ne pouvait être imposé aux ayants cause du propriétaire.

Covenant touchant directement le terrain

Quand un covenant sera-t-il réputé « toucher directement » le terrain ? La question est fréquemment formulée de manière à préciser si le covenant a été conclu par les parties pour avantager ou améliorer le terrain ou s’il ne doit servir que de covenant personnel applicable comme un droit contractuel.

Le covenant doit toucher la nature, la qualité ou la valeur du terrain, ou encore la façon dont il est utilisé. Par conséquent, les covenants restreignant la concurrence commerciale sur le terrain et maintenant les droits de stationnement peuvent toucher directement le terrain.

On a jugé qu’un covenant à l’effet que les unités commerciales « …ne doivent être utilisées ou occupées en aucun temps pour exploiter une entreprise qui loue des skis, des planches à neige et des équipements connexes… » touchait directement le terrain visé et que l’effet du covenant sur le terrain n’était pas seulement imprévu ou collatéral.

En revanche, dans l’achat d’un centre commercial, l’acheteur a accepté de payer certains frais et bonis. Il a aussi conclu un covenant voulant qu’il faudrait un acheteur subséquent pour honorer ces obligations. L’acheteur a procédé à la vente et le vendeur original a voulu faire appliquer le covenant, arguant que l’obligation courait avec le terrain. Le tribunal a radié la demande pour le motif qu’il n’y avait aucune chance de succès; le document créant le covenant ne montrait pas sans ambigüité que les parties voulaient créer un intérêt dans le terrain au profit de l’une des parties. Seul un covenant personnel avait été créé.

On a considéré qu’un covenant à l’effet qu’une partie « …ne vendra pas ou ne disposera pas autrement de tout terrain dans une distance d’un demi (1/2) mille de [endroit indiqué]… pour les fins… d’utiliser le terrain comme magasin pour vendre de la nourriture… » ne créait pas de covenant courant avec les terrains et exécutoire sur ceux-ci, mais un covenant personnel seulement.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a examiné un cas similaire au scénario décrit en début d’article. Un bail existant interdisait au locateur d’entrer dans un dépanneur avec poste d’essence. Après s’être penché sur la loi relative aux covenants courant avec le terrain, le tribunal a jugé que la disposition du bail interdisant l’usage spécifique n’était qu’un covenant personnel applicable entre les parties au bail. La disposition n’était pas un covenant courant avec le terrain et ne pouvait empêcher l’acheteur subséquent d’accueillir un autre locataire exploitant un dépanneur avec poste d’essence.

Conclusion

La différence fondamentale entre un covenant courant avec le terrain et un covenant purement personnel est que le premier doit contenir l’indication claire de créer un intérêt dans le terrain. Il est difficile de prévoir quand un tribunal trouvera l’intention requise. Dans certains cas, on observe une propension à compter davantage sur une politique d’interprétation stricte, ce qui limite la portée des covenants courant avec le terrain, alors que dans d’autres cas, les tribunaux acceptent de jeter un regard critique sur l’ensemble du document pour déterminer l’intention des parties.

La situation peut être d’autant plus complexe que les relations commerciales elles-mêmes. Les cas impliquent souvent des faits alambiqués qui peuvent mener des gens raisonnables à des conclusions différentes sur les effets des covenants.

Comme l’ont remarqué tant les tribunaux que les universitaires, les résultats des cas où l’on retrouve des soi-disant covenants courant avec le terrain sont très difficiles à réconcilier. La prudence recommande d’obtenir des avis juridiques appropriés si l’on rencontre des dispositions dont un évaluateur pourrait penser qu’elles bénéficient au terrain ou qu’elles assujettissent celui-ci.

Notes

1Kevin Gray et Susan Francis Gray, Elements of Land Law, 5e édition (Oxford : Oxford University Press, 2009), paragraphe 5.1.9

Eileen E. Gillese, Property Law Cases, Text and Materials, 2e édition (Toronto : Emond Montgomery Publications Limited, 1990), p. 20:2

3 Voir par exemple NylarFoods Ltd. v. Roman Catholic Episcopal Corp. Prince Rupert (1988), 48 D.L.R. (4th) 175 (B.C.C.A.)

4 Victor DiCastri, Registration of Title to Land, (Toronto : Carswell, 1987), pp. 10-3 – 10-5; Canada Safeway Limited v. Thompson (City), 1996 Carswell Man 401 au paragraphe 20, confirmé [1997] 7 W.W.R. 565 (Man. C.A.); Westbank Holdings Ltd. v. Westgate Shopping Centre Ltd., 2001 BCCA 268 au paragraphe 16; Equitable Trust Co. v. Lougheed Block Inc., 2013 ABQB 209 au paragraphe 38

5 Equitable Trust Co., paragraphe 37

6 Aquadel Golf Course Ltd. v. Lindell Beach Holiday Resort Ltd., 2009 BCCA 5

7 Canada Safeway Limited, paragraphe 27, 28

8 PMT XII LLC v. Strata Plan VR 2753, Section 1, 2010 BCSC 1235

9Westbank, paragraphe 18, 19; voir aussi Domo Gasoline Corp. v. St. Albert Trail Properties Inc., 2003 ABQB 649, White v. Lauder Developments Ltd., 9 O.R. (3d) 363 (Ont. C.A.), p. 6

10Dundee Development Corp. v. Westfair Properties Ltd., 2000 SKQB 444

11NylarFoods Ltd.

À noter : Cet article est fourni pour susciter la discussion. Il ne doit pas être considéré comme un avis juridique. Toute question relative à l’effet des covenants dans des circonstances données doit être posée à des personnes de loi et à des évaluateurs professionnels.