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Examen des loyers : Commentaire sur l’affaire Span West

Évaluation immobilière au Canada

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2020 – VOLUME 64 – Tome 4
Examen des loyers : Commentaire sur l’affaire Span West
John Shevchuk, Barrister & Solicitor, C.Arb

Examen des loyers : Commentaire sur l’affaire Span West

Par John Shevchuk, avocat-procureur, C.Arb, AACI(Hon), RI

Dans des articles précédents de cette publication, j’ai parlé de l’examen des loyers sur la base des loyers du marché et du moment où il y aura un écart par rapport à cette norme.  Dans cet article, la question est réexaminée dans le contexte de la décision de la Cour du Banc de la Reine de Saskatchewan dans l’affaire Bank of Nova Scotia v. Span West Farms Ltd. [Span West].  Bien qu’elle n’ait pas fait l’objet de beaucoup de commentaires judiciaires après sa publication, l’affaire Span West offre une perspective intéressante des loyers du marché à des fins d’examen des loyers et elle aborde le droit de faire appel d’une décision d’examen des loyers.   

L’affaire Span West est née d’un appel d’une décision arbitrale d’examen de loyer interprétant et appliquant la clause suivante :

25.04 Arbitrage

Le montant du loyer, basé sur les loyers courants du marché en vigueur au début de la période de renouvellement applicable pour des lieux et locaux comparables, à l’exclusion des améliorations locatives effectuées par ou pour le compte de la banque, à payer par le locataire au propriétaire pendant la période de renouvellement du présent bail, comme prévu dans les présentes, doit être convenu par les parties, et si les parties ne peuvent s’entendre, le loyer sera réglé par la décision de trois arbitres ou de la majorité d’entre eux, l’un devant être nommé par le propriétaire, l’autre par le locataire, et les deux ainsi choisis devant en choisir un troisième, au moins quatre-vingt-dix (90) jours avant l’expiration de la durée et de tout renouvellement de celle-ci, et la décision arbitrale rendue par la majorité d’entre eux sera rendue avant l’expiration de la présente durée et de tout renouvellement de celle-ci, et liera les parties aux présentes. Les frais de l’arbitrage sont supportés à parts égales par les parties. L’arbitrage doit être mené conformément à la loi sur l’arbitrage de la province de la Saskatchewan.

La décision arbitrale

Dans sa décision, la majorité du conseil d’arbitrage a noté l’accord des parties selon lequel un loyer basé sur « les loyers du marché en vigueur au début de la période de renouvellement applicable » exigeait une détermination objective du loyer, c’est-à-dire sans se fonder sur des circonstances subjectives propres au propriétaire ou au locataire. Il a en outre été convenu que le loyer devait être fixé sur la base de lieux et de locaux comparables.

Cependant, la majorité du conseil a déclaré que le défi consistait à déterminer ce qui constituait des « lieux et locaux comparables ». Ils ont écrit que le meilleur comparable possible serait un bâtiment identique situé immédiatement en face des locaux en question, mais de tels locaux n’existent pas. Sans surprise, les arbitres ont conclu qu’ils devaient prendre en compte les locaux situés dans d’autres endroits et ensuite ajuster les loyers de ces locaux à la hausse ou à la baisse pour les appliquer aux locaux concernés. Une majorité d’arbitres a conclu que les meilleurs comparables se trouvaient dans le quartier des affaires du centre-ville, sur la rue principale.   

Les parties ont présenté un ensemble de comparables dont les loyers allaient de 12 à 21 dollars, le plus cher étant les locaux occupés par la Banque Royale du Canada. Les arbitres ont estimé que les locaux de la banque étaient les meilleurs comparables du lot, mais qu’ils n’étaient pas parfaits – en bref, ils présentaient des caractéristiques qui en faisaient un meilleur emplacement par rapport au sujet. Ils ont également conclu que le meilleur comparable ne créait pas « des loyers courants sur le marché pour des emplacements et des locaux comparables ». Les quatre autres locaux avaient des loyers nettement inférieurs à ceux des locaux de la Banque Royale du Canada. Les arbitres ont fixé le loyer à 18 dollars pour la période de renouvellement, déclarant que les locaux de la Banque Royale du Canada « dépassent les taux beaucoup plus bas payés pour les autres propriétés ».

Le locataire en a appelé de la décision arbitrale.   

Les questions en appel devant le tribunal

Deux des questions abordées par le tribunal dans le cadre de l’appel du locataire étaient les suivantes :

  1. Un droit d’appel était-il exclu par les termes du bail?
  2. Les arbitres ont-ils correctement interprété « les loyers actuels du marché pour des emplacements et des locaux comparables »?

Un droit d’appel était-il exclu?

La clause d’arbitrage dans l’affaire Span West prévoyait en partie ce qui suit :

25.04 Arbitrage

Le montant du loyer … que le locataire doit payer au propriétaire pendant la période de renouvellement du présent bail … doit être convenu par les parties, et si les parties ne peuvent s’entendre, le loyer sera réglé par la décision de trois arbitres ou de la majorité d’entre eux … et la décision … contraindra les parties …

Le propriétaire a fait valoir que les termes « régler » et « contraindre » avaient pour effet de supprimer le droit d’appel de la décision arbitrale. Dans des affaires précédentes auxquelles la Cour s’est référée, l’insertion de l’expression « définitif et contraignant » pouvait avoir pour effet d’empêcher l’appel d’une décision arbitrale dans le cadre d’un examen de loyer. La Cour a déclaré que la question était de savoir si les termes « régler » et « contraindre »  » avaient le même effet que « définitif et contraignant ».

Au paragraphe 17, la Cour a estimé que « réglé » est équivoque; il peut être lu comme signifiant « constater, établir ou fixer », mais il n’abroge pas un droit d’appel en vertu de la législation sur l’arbitrage. Toutefois, la Cour a écrit ce qui suit au paragraphe 18 :

18      La question qui subsiste est de savoir si l’absence de droit d’appel d’une décision arbitrale à l’article 25.04 doit être interprétée comme une renonciation implicite au droit d’appel prévu à l’article 45 de la loi, ou comme une simple indication que les parties n’ont jamais réfléchi à la question. Suivant le raisonnement appliqué par le juge Finlayson dans l’affaire L.I.U.N.A., supra, je suis convaincu que l’absence d’une disposition relative au droit d’appel dans le bail, un long document couvrant en détail tous les aspects du contrat de location, confirme que les parties n’avaient pas l’intention que les décisions rendues en vertu de l’article 25.04 soient soumises à un examen en appel. En d’autres termes, lorsqu’il est lu conjointement avec l’ancienne et la nouvelle loi [de la Saskatchewan], l’article 25.04 élimine implicitement le droit d’appel prévu par la loi.

Le tribunal aurait pu s’arrêter là, mais il a poursuivi en abordant l’interprétation des « loyers actuels du marché pour des emplacements et des locaux comparables ».

« Les loyers courants sur le marché pour des emplacements et des locaux comparables »

Le tribunal a conclu que l’expression « des loyers courants sur le marché pour des emplacements et des locaux comparables » a un sens différent de « loyers du marché ». L’explication se trouve aux paragraphes 27 et 28 de Span West :

27   Le « loyer du marché » a un élément prospectif dans la mesure où il considère le taux de location qu’un local attirerait s’il était offert sur le marché au sens large le jour où le locataire a exercé son droit de renouvellement. Il tient également compte des loyers payables au titre de baux existants de locaux similaires. En revanche, l’approche utilisée dans l’article 25.04 ne prend en compte que les loyers actuels payables pour des lieux et des locaux comparables et fixe le loyer pour la période de renouvellement en se référant à ceux-ci. Les résultats obtenus par ces deux approches peuvent être sensiblement différents, comme l’illustre l’exemple suivant :

Supposons que le taux de location actuel des locaux loués est de 5,00 $ le pied carré à la date de renouvellement du bail et que le taux de location actuel pour des locaux et emplacements comparables est alors de 6,00 $ le pied carré. Si un marché immobilier très actif existe à la date de renouvellement, ou s’il y a une pénurie de locaux équivalents, les locaux loués en question commanderont un taux de location bien supérieur à 6,00 $ le pied carré. À l’inverse, si le marché immobilier est très déprimé à la date de renouvellement, le loyer du marché pour le local peut être bien inférieur à 5,00 $ le pied carré.

L’approche prescrite par le bail produirait un taux de renouvellement du loyer de l’ordre de 6,00 $ le pied carré dans les deux cas.

28      L’objectif évident des critères utilisés par le bail est de protéger les parties contre les aléas des fluctuations rapides des marchés immobiliers. Je suis convaincu que la commission a compris et correctement interprété la disposition en cause et a donc rejeté le recours du propriétaire dans la mesure où son appel est fondé sur la deuxième question.

Conclusion

La conclusion du tribunal dans l’affaire Span West selon laquelle le droit d’appel avait été abrogé par les termes du bail a eu par la suite une réaction mitigée, au moins un tribunal ayant refusé d’adopter le raisonnement de la Cour du Banc de la Reine de Saskatchewan.[i]

Il semble qu’il n’y ait eu aucun examen judiciaire de la conclusion de l’affaire West Span concernant la nature prospective du « loyer du marché » et les implications des termes « courant » et « en vigueur » comme base de détermination du loyer pour une période de renouvellement. Il est impossible de dire dans quelle mesure l’affaire a influencé les décisions arbitrales dans les procédures d’examen des loyers.  Toutefois, l’affaire offre la possibilité qu’un groupe d’arbitrage puisse convenir que l’utilisation de termes tels que « courant » et « en vigueur » traduit une intention de fixer les loyers sur la base de ce qui existe au moment de l’examen plutôt que sur ce qui serait négocié à la date de renouvellement.

Notes de fin de texte

[1] Examen du loyer : À quoi sert le bail? (Évaluation immobilière au Canada, 2018 – Volume 62 – Tome 3); Clause dans un examen de loyer : Fondé ou non sur le marché? (Évaluation immobilière au Canada, 2017 – Volume 61 – Tome 4)

ii 2003 SKQB 306,

iii Fern Trust (Trustee of) v. Trevail Mining (New Brunswick) Ltd., 2019 ONSC 4225 (Ont. S.C.J.) aux paragraphes 19-21

Cet article a pour but de susciter la discussion et de sensibiliser les praticiens à l’évolution du droit. Il ne s’agit pas d’un avis juridique. Toute question découlant de cet article dans des circonstances particulières devrait être dirigée à des juristes et à des évaluateurs qualifiés.