Il est temps que les évaluateurs du Canada élaborent une stratégie d’évaluation ESG
Évaluation immobilière au Canada
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Par Rob Purdy, P. App., AACI,vice-président, Groupe d’évaluation et de consultation chez Colliers Canada
En discutant récemment avec le propriétaire de plusieurs biens immobiliers occupés par une épicerie canadienne, on s’est mis à parler d’ESG. La conversation portait sur le fait que l’atteinte de l’excellence Environnementale, Sociale et de Gouvernance — surtout pour l’environnement — demeure quelque peu mystérieuse. Voici des questions soulevées dans nos échanges : Comment peut-on se conformer à l’approche ESG pour respecter les politiques générales des locataires ou l’éventuelle réglementation gouvernementale? Que se passe-t-il si on ne le fait pas? Les considérations ESG sont-elles une mode passagère? Que vaut cette propriété, ou quelle est sa valeur de revente, si elle est défavorisée par rapport à d’autres actifs concurrentiels lorsqu’il s’agit des facteurs ESG?
Ce sont là des questions de plus en plus importantes auxquelles devraient s’attaquer la plus vaste industrie immobilière commerciale et les Évaluateurs Professionnels (P. App.). Dans un avenir rapproché, la stratégie ESG aura davantage d’influence au sein du marché des évaluations immobilières et des transactions, à travers les différentes catégories d’actifs, et il est essentiel que les experts commencent à comprendre comment établir un robuste processus d’évaluation qui tienne compte des divers éléments ESG, en particulier concernant la durabilité.
Nous entrevoyons déjà ce qui nous attend en analysant les données qui émergent en Europe, où on a poussé plus loin le développement ESG.
À Londres, nous avons observé un écart qui se creuse depuis quatre ans entre les prix d’achat moyens des bâtiments dotés d’une note de durabilité par rapport à ceux qui n’en n’ont pas, si l’on en croit la recherche de MSCI publiée l’année dernière.
J’écrivais récemment dans SustainableBiz.ca que l’écart en 2022 avait atteint 25 %, les acheteurs londoniens mettant davantage l’accent sur les bâtiments qui répondaient à certaines exigences de durabilité grâce aux évaluations d’organisations telles que la Building Research Establishment (BREEAM), l’US Green Building Council (LEED) et la GBC Alliance. La même étude avançait que l’écart des valeurs avait atteint 35 % à Paris en 2022.
Le marché nord-américain est à la traîne derrière l’Europe à cet égard. Nous avons aussi le désavantage de ne pas comprendre clairement les évaluations de comparables, étant donné que notre marché national des transactions immobilières commerciales a été lent suite aux difficultés économiques d’après pandémie et au taux d’intérêts élevés, alors que nous n’avons pas accumulé d’inventaire suffisamment important de bâtiments prêts ou certifiés à la norme ESG faisant l’objet de transactions pour nous fournir un ensemble potable de données.
L’approche ESG est-elle une mode qui va passer?
Certains espèrent peut-être que cette approche est une tendance passagère qui ne soulèvera pas de difficultés et dont ils n’auront pas à se préoccuper. Je ne suis pas convaincu que ce sera le cas.
Il est vraisemblable qu’un certain recul ESG survienne (très probablement selon des lignes partisanes), mais c’est une réalité que notre environnement, nos villes, nos communautés et nos bâtiments doivent affronter et qui dicte la voie à suivre et l’endurance du mouvement ESG et des exigences de durabilité.
Les compagnies d’assurance, les institutions financières et les gouvernements d’autorisation ajustent déjà leurs processus et politiques afin de réagir aux événements météorologiques extrêmes causés par le changement climatique. Dans le contexte canadien, nous n’avons pas besoin de chercher longtemps pour trouver des exemples de phénomènes environnementaux intenses qui menacent directement notre infrastructure. La Colombie-Britannique vient de vivre sa pire saison des feux de forêt jamais enregistrée. Pendant quelque temps cet été, on a même cru que toute la ville de Yellowknife serait détruite par les flammes. Cela survient seulement deux ans après le dôme de chaleur record et fatal dans l’Ouest canadien, suivi à l’automne de la même année par des coulées de boue et des inondations dévastatrices qui ont accablé les collectivités et détruit des tronçons d’autoroutes majeures, coupant essentiellement les basses-terres continentales du reste du Canada. Ces catastrophes nous coûtent des milliards.
Les opinions compteront moins alors que les véritables conséquences aux coûts mesurables continuent de mettre au défi notre environnement bâti. Les évaluateurs devraient se préparer à ce mouvement pour soutenir adéquatement leurs clients qui veulent bien positionner leurs bâtiments prêts ou certifiés à la norme ESG dans le marché.
Pensez à la stratégie d’évaluation ESG en termes de risque
Un bon point de départ pour une stratégie d’évaluation ESG conviviale est de penser au risque. Le risque, c’est qu’en ignorant le mouvement ESG, les propriétaires de biens immobiliers au Canada commenceront à tirer de l’arrière dans le marché quand ils voudront gagner des clients importants, corporatifs et mondiaux. Nous savons, par exemple, que 42 % des entreprises Fortune 500 se sont engagées publiquement à atteindre des cibles climatiques majeures d’ici 2030. Et 66 % des entreprises ont fixé des cibles de réduction du carbone pour 2050, selon le Climate Impact Partners Report.
Cela signifie que plus d’entreprises devront trouver et sécuriser un espace qui réalise des critères à zéro émission nette pour leurs propres responsabilités corporatives. La liste des entreprises internationales va probablement s’allonger ; 2030 approche à grands pas.
Il est également intéressant de jeter un coup d’œil sur Net Zero Tracker, un site Web qui suit et publie de l’information sur les engagements et stratégies à zéro émission nette des entreprises à travers le monde. La liste des entreprises ayant adopté des cibles pour atteindre éventuellement zéro émission nette ou la neutralité carbone inclut Walmart, Apple, Amazon, Toyota, Volkswagen et Samsung.
Il n’y a pas de formule simple pour réaliser cela, mais un bon point de départ est d’imaginer le risque qui existe si on ne fait rien. Il y a le risque de perdre du terrain ou de voir diminuer la valeur d’un bien pour son propriétaire, à mesure que s’étend ou qu’augmente la réglementation ESG des gouvernements. On pourrait également perdre sur les carottes ou les incitatifs émergents pour soutenir le mouvement au Canada, alors que les politiques et les subventions se fondent dans l’approche ESG. Un autre risque est que l’approche soit considérée comme archaïque par les locataires, dont les actifs pourraient devenir orphelins ou relégués par le marché.
Commencer par la décarbonation
La neutralité carbone, que ce soit pour un bâtiment industriel ou un immeuble de bureaux, est une solution à notre portée qui fera probablement tomber le premier domino. Ça se produit déjà. La société KingSett Capital, basée à Toronto, dispose par exemple d’un portefeuille d’actifs de 5,4 millions de pieds carrés à décarboniser d’ici 2027. Si l’objectif se réalise, cela équivaudrait à 35 % moins d’émission de carbone comparativement à la base de référence de l’entreprise.
En parlant à des partenaires et des intervenants du marché international présentement engagés dans cet enjeu, nous voyons des signes dans le processus de conception qui révèlent un désir d’assurer l’avenir des bâtiments, particulièrement dans le secteur des bureaux et des industries. La première étape tend à impliquer les initiatives de décarbonation.
La stratégie ESG est une nouvelle cible dans notre environnement bâti et les experts de l’évaluation doivent adopter une méthode nuancée, à mesure que l’on voit de plus en plus clairement cet enjeu évoluer dans le marché. Cette limpidité permettra d’intégrer divers éléments, y compris la qualité marchande des bâtiments, la disponibilité du financement, les demandes des locataires et leur admissibilité locative, de même que l’adhérence aux politiques corporatives et gouvernementales.
À titre d’évaluateurs, nous devons accepter le défi d’élaborer une stratégie pour analyser le risque et interpréter le marché en ce qui touche une propriété unique à un moment précis.
Nous nous trouvons à un point d’inflexion intéressant, où certains groupes institutionnels importants sont au sommet du mouvement ESG, travaillant avec des conseillers ESG et actualisant leurs ressources corporatives pour assurer l’avenir de leurs avoirs immobiliers. À l’autre bout du spectre, certains groupes semblent indifférents et ne prennent aucune mesure.
En tant qu’évaluateurs, nous devons nous engager dans le mouvement et développer une norme pour l’évaluation ESG aujourd’hui, afin d’être prêts pour demain.