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Les NUPPEC, la Loi sur l’expropriation de l’Ontario et l’exception juridictionnelle

Évaluation immobilière au Canada

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2016 – Volume 60 – Tome 2
Les NUPPEC, la Loi sur l’expropriation de l’Ontario et l’exception juridictionnelle
Lisa Campbell

 

Toutes les évaluations effectuées au Canada par les membres de l’Institut canadien des évaluateurs (ICE) doivent se conformer aux normes de l’ICE énoncées dans les Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC). Tous les membres de l’ICE doivent recevoir des instructions régulières quant à la conformité aux NUPPEC comme condition préalable au maintien de leur désignation et de leur statut de membre. La totalité des NUPPEC doit être observée, ce qui comprend sans y être assujettie, la mise en garde en matière d’exception juridictionnelle. Le présent article entreprend d’explorer l’exception juridictionnelle et ses rapports avec l’évaluation d’un bien immobilier faisant l’objet d’une expropriation en conformité de la Loi sur l’expropriation de l’Ontario (LEO) par un membre de l’ICE. L’exception juridictionnelle a de profondes répercussions sur une évaluation dans le cas de terrains faisant l’objet d’une expropriation en conformité de la LEO et touche plusieurs aspects de l’évaluation.

 

Les NUPPEC et l’exception juridictionnelle

Les NUPPEC ont pour objectif « de promouvoir et de maintenir un haut niveau de confiance de la part du public envers la pratique de l’évaluation professionnelle en établissant des exigences relativement aux contrats de services d’évaluation, d’examen, de consultation et de planification du fonds de réserve. »1 L’une des principales façons d’y parvenir consiste à appliquer l’exigence préalable voulant que toute évaluation effectuée par un membre de l’ICE soit conforme à toutes les lois et politiques publiques pertinentes régissant le bien immobilier faisant l’objet de l’évaluation et au but du contrat de service. Cependant, il arrive parfois que les définitions, règles et commentaires pertinents des NUPPEC applicables à l’évaluation sont en contradiction de la législation. En pareil cas, la règle d’exception juridictionnelle des NUPPEC entre en jeu, accordant la priorité à la législation pertinente par rapport aux définitions, règles et commentaires pertinents des NUPPEC.

Il convient de noter la section 3.6 des NUPPEC 2014 :

3.6 Exception juridictionnelle

3.6.1 Condition d’un contrat de service qui annule une ou plusieurs parties des Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC) lorsque la conformité serait contraire à la loi ou aux politiques publiques applicables au contrat de service.

3.6.2 La question de juridiction est liée à la base juridique permettant de légiférer, d’appliquer ou d’interpréter les lois fédérales, provinciales ou municipales. Il serait trompeur de ne pas signaler la(les) partie(s) des NUPPEC faisant l’objet d’une exception juridictionnelle et la base juridique sur laquelle cette exception repose.

3.6.3 Dans chaque cas, il incombe à l’évaluateur et non au client ou à tout autre utilisateur prévu de déterminer si l’utilisation d’une exception juridictionnelle est appropriée. Il est contraire à l’éthique pour un membre de compléter un travail qui ne peut être appuyé par un évaluateur raisonnable.

Dans chaque cas où on invoque une exception juridictionnelle dans un rapport d’évaluation, on doit appliquer une hypothèse extraordinaire et une condition limitative exceptionnelle.

7.11 Hypothèses et conditions limitatives

7.11.2 : Une hypothèse extraordinaire
est une hypothèse – soit supposée
ou non confirmée – qui, si elle s’avère non fondée, pourrait modifier les opinions et les conclusions de l’évaluateur. Une divulgation complète de toute hypothèse extraordinaire
doit accompagner chaque énoncé d’opinion ou de conclusion touchée par cette hypothèse (voir également
« Conditions hypothétiques »).

7.11.3 : Une condition limitative exceptionnelle est une modification ou une dérogation nécessaire à une règle. Il incombe à l’évaluateur d’expliquer et de justifier cette nécessité dans son rapport et de s’assurer, avant d’accepter un contrat de service et d’invoquer une condition limitative exceptionnelle, que la portée de cette condition sur les travaux permettra d’élaborer des opinions et des conclusions crédibles.

7.12 : Conditions hypothétiques

7.12.1 : Les conditions hypothétiques peuvent être utilisées au besoin à des fins juridiques, à des fins d’analyse raisonnable ou pour permettre d’effectuer des comparaisons. …

7.12.2 : Pour chaque condition hypothétique, le rapport doit contenir une hypothèse extraordinaire.

7.12.4 : Les évaluations réalisées à des fins d’expropriation peuvent comprendre des conditions hypothétiques et peuvent exiger que l’évaluateur invoque une exception juridictionnelle.

7.12.5 : La condition hypothétique doit être clairement divulguée dans le rapport, cette divulgation comprenant une description de l’hypothèse, les raisons de son utilisation et ses répercussions sur le résultat du contrat de service.

7.12.6 : Une analyse fondée sur une condition hypothétique ne doit pas rendre le rapport d’évaluation trompeur.

Diverses lois sont en place en Ontario pour permettre l’expropriation de terrains. Le présent article aborde plus spécifiquement l’incidence que peut avoir une exception juridictionnelle sur les divers composants d’un rapport d’évaluation visant à assurer la conformité aux NUPPEC et à la LEO.

 

Les NUPPEC et la LEO

Ignorer le parti architectural

Le terme « parti architectural » utilisé dans cet article se réfère aux améliorations prévues qui nécessitent l’expropriation des terrains en objet. Les sections 14(4) et14(5) de la LEO désignant le parti architectural comme « l’exploitation ».

Les NUPPEC stipulent que, dans une évaluation, l’évaluateur doit « préciser l’envergure des travaux requis pour réaliser le contrat de service. »2 Ceci inclut « la recherche des différents facteurs physiques et économiques qui pourraient avoir une incidence sur le bien immobilier. »3 De plus, les NUPPEC affirment que l’évaluateur doit « analyser l’effet sur la valeur des améliorations prévues par l’État ou par des particuliers. »4 Cependant, quand une évaluation est effectuée aux fins d’une expropriation en vertu de la LEO, la section 14.4 de la LEO prévaut, tel que prévu dans les dispositions suivantes :

Pour fixer la valeur marchande d’un bien-fonds, il n’est pas tenu compte des éléments suivants :

(a) l’utilisation particulière à laquelle l’autorité expropriante destine le bien-fonds;

(b) l’augmentation ou la diminution de la valeur du bien-fonds résultant de l’exploitation ou de l’imminence de l’exploitation en vue de laquelle l’expropriation a lieu, ou d’une expropriation ou de la perspective imminente d’expropriation;

(c)  l’augmentation de la valeur du bien-fonds résultant de l’affectation de celui-ci à une utilisation qui pourrait être interdite par un tribunal, qui contrevient à la loi ou qui porte préjudice à la santé des occupants du bien-fonds ou à la santé publique. L.R.O. 1990, chap. E.26, par. 14 (4).

Par conséquent, dans le cas d’un rapport d’évaluation rédigé en conformité de la LEO, le parti architectural doit être exclu du processus d’évaluation. Ainsi, un composant des facteurs physiques et économiques qui pourrait affecter le bien-fonds, à savoir une amélioration publique prévue, n’est pas prise en considération dans l’évaluation.

 

Amélioration

L’amélioration se définit, dans The Dictionary of Real Estate Appraisal, comme : « des améliorations considérables à un bien immobilier représentant des dépenses d’immobilisations qui constituent plus que de simples réparations. » (traduction)5 Dans le cas de terrains expropriés en Ontario, on entend généralement par amélioration une augmentation substantielle de la valeur marchande des terrains restants après le retrait des terrains requis de la propriété en objet, par suite de la construction et de l’utilisation du parti architectural. Dans une évaluation caractéristique, l’amélioration résultant du parti architectural doit être prise en considération dans l’évaluation des terrains restants de manière à ce que l’évaluation soit conforme aux NUPPEC et plus spécifiquement avec les règles 6.2.4 et 6.2.20 de la Norme relative aux activités d’évaluation et avec le commentaire 7.5.1.ii de la Norme relative aux activités d’évaluation qui fait référence à l’envergure des travaux et à l’analyse de l’effet sur la valeur des améliorations publiques ou privées prévues (voir la sous-section « Ignorer le parti architectural » du présent article). Cependant, quand une évaluation est effectuée à des fins d’expropriation en vertu de la LEO, la section 23 de cette loi a préséance, tel qu’indiqué ci-dessous :

  1. Le montant de la plus-value dont bénéficie le bien-fonds ou la partie restante du bien-fonds d’un propriétaire par suite des travaux en vue desquels ce bien-fonds a été exproprié ou qui lui ont causé un effet préjudiciable, n’est déduit que du montant des dommages-intérêts alloués pour effet préjudiciable à l’égard du bien-fonds ou de la partie restante du bien-fonds du propriétaire. L.R.O. 1990, chap. E.26, art. 23.

 

Autrement dit, même si l’amélioration de la partie restante du bien-fonds après la réalisation du parti architectural puisse être considérable, sa valeur peut être prise en compte seulement dans la mesure où elle compense pour les dommages-intérêts alloués pour effet préjudiciable sur la partie restante
es terrains résultant de la prise des terrains nécessaires.

 

Réinstallation équivalente

Quand des terrains sont expropriés, le propriétaire des terrains visés peut avoir droit à ce qu’on appelle une « réinstallation équivalente » dans le passage suivant de la LEO :

(2) Si le bien-fonds exproprié est utilisé à une fin d’une nature telle qu’il n’existe ni demande générale ni marché général pour le bien-fonds à cette fin et que le propriétaire a réellement l’intention de se réinstaller dans des immeubles semblables, la valeur marchande du bien-fonds est réputée correspondre aux frais raisonnables qu’entraîne une réinstallation équivalente. L.R.O. 1990, chap. E.26, par. 14 (2).

L’obligation de se conformer à la LEO peut entraîner un changement dans une évaluation effectuée dans le but d’estimer une réinstallation équivalente. L’estimation de la valeur marchande d’une propriété exige l’application des méthodes d’évaluation pertinentes en conformité de la règle 6.2.16 de la Norme relative aux activités d’évaluation (c’est-à-dire la méthode du coût et(ou) la méthode de comparaison directe et(ou) la méthode du revenu). Tel que prévu dans les NUPPEC, dans son rapport d’évaluation, l’évaluateur doit :

6.2.16 décrire et utiliser les procédures d’évaluation pertinentes au contrat de service, en plus d’expliquer et justifier l’exclusion de toute méthode d’évaluation habituelle.

Dans le cas d’une maison unifamiliale avec améliorations conçues spécifiquement pour le propriétaire et qui ne sont pas communes sur le marché, la valeur marchande de la propriété peut, dans certaines circonstances, être estimée en calculant le coût de reproduction à neuf d’une résidence à utilisation semblable plutôt qu’en appliquant la méthode de comparaison directe, la méthode la plus fréquemment utilisées en évaluation de propriétés résidentielles.

On peut mesurer la réinstallation équivalente de plusieurs façons, selon la situation, la définition des « frais raisonnables de réinstallation équivalente » étant la mesure de la valeur. Cependant, la méthode d’évaluation d’une propriété en conformité de la clause de réinstallation équivalente de la LEO peut différer considérablement de la méthode d’évaluation ordinaire et peut attribuer plus (ou moins) de valeur à certaines caractéristiques de la propriété en objet que ce qui serait attribuable dans une mesure de la valeur marchande purement dérivée du marché. La différence résultante entre la valeur marchande estimée selon la clause de réinstallation équivalente de la LEO et la valeur marchande estimée définie dans les NUPPEC peut être considérable.

 

Conclusion

Le rapprochement des NUPPEC et de la LEO se fait en invoquant des hypothèses extraordinaires et des conditions limitatives exceptionnelles dans le rapport d’évaluation. La conformité aux NUPPEC et à la LEO exige du praticien des connaissances approfondies des exigences prévues par la loi et de leurs répercussions sur le processus d’évaluation.

 

Renvois

  • Institut canadien des évaluateurs, Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (2014), 3.1.1.
  • Institut canadien des évaluateurs, Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (2014), 6.2.4.
  • , 7.5.1.ii.
  • , 6.2.20.
  • Appraisal Institute, The Dictionary of Real Estate Appraisal, 4th ed. (2002), p. 29.