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Récits dérivés de l’immobilier

Évaluation immobilière au Canada

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2023 – VOLUME 67 – Tome 2
Récits dérivés de l’immobilier
Andy Pham, P. App., AACI, Membre du Conseil du Président sur l’équite, la diversité et l’inclusion de l’ICE

De nombreux facteurs sont à prendre en compte dans le travail typique d’un évaluateur. Les questions relatives au voisinage, au zonage et à l’utilisation du sol viennent immédiatement à l’esprit. Mais avez-vous déjà pensé aux récits qui se cachent derrière les biens immobiliers que vous évaluez? En l’honneur du Mois du patrimoine asiatique, cet article se concentrera sur trois propriétés et sur la façon dont la vie des propriétaires et de leurs familles a été transformée par le bien immobilier et par leur exode du Viêt Nam vers le Canada.  

Pour situer le contexte, le conflit au Viêt Nam a commencé le 1er novembre 1955 et s’est terminé le 30 avril 1975, avec la chute de Sài Gòn (l’ancien nom de Hồ Chí Minh City, la capitale du Viêt Nam). De nombreux Vietnamiens qui s’étaient rangés du côté de la République du Sud-Vietnam ont tenté de fuir, principalement sur de petites embarcations fluviales, au péril de leur vie, pour avoir une chance infime d’accéder à un avenir nouveau et meilleur. Certains ont survécu, beaucoup n’ont pas survécu.   

Récit de l’immobilier No 1 

Avec l’aimable autorisation des archives de la famille Nguyễn. 

Le premier emplacement est le 3388, rue Main, à Vancouver, un magasin de détail de 2 112 pieds carrés utilisé comme restaurant dans le quartier Mt. Pleasant. Une recherche rapide sur BC Assessment indique qu’il s’agit d’une unité détenue en copropriété, construite en 1997, et évaluée à 1 882 000 $. Le restaurant qui occupe cet espace, Anh and Chi, a récemment reçu le titre de 2022 Bib Gourmand du Guide Michelin et est le premier chef vietnamien féminin reconnu pour un Bib Gourmand Michelin au Canada. J’ai eu la chance de m’entretenir avec Amélie Nguyễn, la fille du chef et copropriétaire, pour en savoir plus sur son restaurant et sa famille. 

Andy : Votre famille et vous avez un restaurant très prospère, mais je sais que la vie n’a pas toujours été facile pour vous. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre famille? 

Amelie : Mes parents et moi sommes arrivés au Canada en tant que réfugiés après avoir fui le Vietnam sur un bateau en 1980. Nous logions dans un appartement loué près de Kingsway. 
Mes parents ont lutté pour établir une nouvelle vie au Canada. Mon père livrait des pizzas et ma mère travaillait dans une boulangerie. C’était très différent de ce qu’ils faisaient au Vietnam avant la guerre, quand mon père était enseignant au niveau collégial et que ma mère travaillait dans le secteur de la restauration.  

Andy : Cela a dû être difficile pour eux de s’adapter à la vie dans un nouveau pays, avec une nouvelle langue et une nouvelle culture. 

Amelie : C’est vrai. C’est probablement la raison pour laquelle ils ont commencé à faire des phở. Leur pays leur manquait beaucoup et ils utilisaient la cuisine pour se rappeler les odeurs de leur enfance. Au début, ils cuisinaient pour leurs amis, puis ils ont apporté leur nourriture aux centres d’accueil du quartier. Ils se sont fait connaître comme la famille qui cuisinait des phở que les gens voulaient manger. 

Andy : C’est ainsi qu’ils ont commencé à ouvrir le restaurant?  

Amelie : [Riant] C’est parce qu’on leur a dit qu’ils ne pouvaient pas servir de la nourriture à partir de leur maison parce que c’était interdit pour des raisons de santé et de sécurité ainsi que pour des raisons de zonage. En 1983, après s’être constitué une clientèle fidèle, ils ont ouvert leur premier restaurant et l’ont appelé Phở Hoàng. Il était de tradition au Viêt Nam de nommer le restaurant en fonction de ce qu’il servait et du nom d’une personne. Hoàng était le nom de mon père.  

Andy : Le premier restaurant se trouvait également sur la rue Main, mais pas à l’endroit où se trouve le restaurant actuel. 

Amelie : Notre premier restaurant se trouvait au 3610, rue Main, là où se trouve aujourd’hui Chef Claire’s. Mais mon père voulait proposer une plus grande variété de plats vietnamiens, alors, en 1997, mes parents ont construit et ouvert le restaurant actuel, plus grand, également sur la rue Main. 

Andy : Si vous avez loué votre premier local, pourquoi avez-vous voulu construire et posséder le second?  

Amelie : Mes parents savaient qu’ils appartenaient à la classe ouvrière au Canada et ils avaient compris que l’un des moyens de s’enrichir était d’acheter des terrains. Ils avaient entendu parler de choses comme les actions et les obligations, mais ils pensaient que c’était trop abstrait, contrairement à l’immobilier, qui est tangible. Après avoir économisé pendant des années, ils ont eu la possibilité de devenir propriétaires de leur restaurant et de développer leur entreprise.  

Andy : Comment le quartier a-t-il évolué depuis 1983?  

Amelie : La rue Main n’avait rien lorsque nous avons ouvert le premier petit restaurant. Même lorsque nous avons ouvert le grand restaurant, il y avait encore un concessionnaire automobile de l’autre côté de la rue. Mais au fil du temps, nous avons vu apparaître des salons de coiffure, des magasins d’antiquités et des cafés, tous à proximité de notre restaurant. 

Andy : D’après vous, qu’est-ce qui a provoqué ce changement sur la rue Main?  

Amelie : Il semble que les gens déménageaient ici depuis le West Side, faisant d’énormes gains en vendant leurs maisons et en achetant des maisons dans ce quartier, qui était moins cher à l’époque. La rue Main n’était pas aussi chic qu’elle l’est aujourd’hui. 

Andy : Comment la version actuelle de l’ancien restaurant, Anh and Chi, a-t-elle vu le jour?  

Amelie : Malheureusement, mon père est tombé très malade en 2010 et ma mère nous a appelés, mon frère Vincent et moi, pour nous annoncer la mauvaise nouvelle. Nous étions tous les deux en Australie à l’époque. Il était étudiant en médecine, et je défendais ma thèse de maîtrise. Mon frère et moi avons immédiatement pris l’avion pour rentrer. Notre père a tenu bon jusqu’à ce que nous soyons rentrés à temps pour faire nos adieux. 

Andy : Cela a dû être difficile pour votre mère en particulier.  

Amelie : Oui. Elle était en deuil, mais elle avait encore un restaurant à gérer. Elle ne pouvait que le tenir à flot, jour après jour. Mon frère et moi lui avons demandé comment elle allait continuer, et elle nous a répondu qu’elle ne savait pas. Le restaurant est devenu stagnant et c’est à ce moment-là que Vincent et moi avons uni nos forces pour créer Anh and Chi. Nous avons décidé d’honorer notre père en reprenant le restaurant, mais en le modernisant et en lui donnant un nouveau nom. 

Andy : Je me doutais que cela avait un rapport avec vous et votre frère, car en vietnamien, « anh » signifie frère aîné et « chi » signifie sœur aînée.  

Amelie : C’est en partie ce qui a motivé ce choix. Anh and Chi est un hommage à tous les frères et sœurs qui nous ont aidés tout au long de notre parcours. Nous voulions un endroit chaleureux et accueillant, où l’on aurait envie d’amener sa famille et de déguster un bon repas. 

Récit de l’immobilier No 2 

Avec l’aimable autorisation de la famille Huỳnh. 

Le deuxième emplacement est le 5052, promenade Victoria, ce qui nous amène dans le quartier de Kensington-Cedar Cottage et nous présente Maria Huỳnh, la propriétaire de CHAU Veggie Express. L’immeuble est zoné C-2, ce qui permet diverses utilisations au rez-de-chaussée et à l’étage. Ce type d›utilisation a dicté la nature commerciale de la promenade Victoria, entre les 32e et la 44e avenues est. 

Andy : Je sais que vous et votre famille travaillez dans le secteur alimentaire depuis de nombreuses années, mais commençons par le Vietnam. 

Maria : Tout a commencé avec mon grand-père qui avait légué un remorqueur à mon père. Lorsque la guerre a éclaté, ma mère et mon père ont survécu en transportant du ciment et de l’essence pour les Américains. Après la chute de Saigon, la vie est devenue de plus en plus difficile et, en 1979, mes parents ont décidé qu’il valait mieux tenter de s’enfuir et risquer la mort plutôt que de dépérir dans un pays déchiré par la guerre. C’est sur ce remorqueur que mes parents se sont enfuis et, par chance, ils ont fini par être parrainés par le Canada depuis le camp de réfugiés où ils avaient débarqué. Ils se sont d’abord installés à Winnipeg en 1980, mais ont peu à peu déménagé vers l’ouest. Je suis née à Red Deer en 1981 et, en 1983, nous sommes arrivés à Vancouver. 

Andy : Comment était la vie de vos parents à Vancouver au début des années 1980?  

Maria : Avec la barrière de la langue, mes parents n’avaient pas beaucoup d’options pour travailler. Ma mère travaillait dans une chaîne de restauration rapide dans les centres commerciaux et mon père était concierge au stade BC Place. Nous vivions dans un HLM dans le quartier chinois. Heureusement, ma mère voulait se construire une vie meilleure. Elle a commencé à faire des boulettes de viande dans l’appartement. Dans les années 80, la plupart des habitants du quartier étaient d’origine chinoise et disposaient de faibles revenus. Ils adoraient la recette de ma mère et faisaient la queue pour acheter des boulettes de viande faites à la main. Les commandes ne cessaient d’affluer et l’appartement devint bientôt une petite usine qui fabriquait des boulettes de viande et d’autres viandes transformées, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Elle a donc économisé suffisamment d’argent pour louer un magasin à l’intersection Heatley-Hastings, qu’elle a appelé Kim Chau Deli. Le magasin a ouvert ses portes en 1986. Au fil des ans, la communauté vietnamienne de Vancouver s’était installée le long de Kingsway, il était donc logique de s’y installer. Nous avions le magasin en bas et un appartement au-dessus où nous vivions. Nous y avons vécu pendant plusieurs années, puis nous avons vendu l’ensemble de l’immeuble avec l’entreprise Kim Chau Deli

Andy : Pourquoi vos parents ont-ils voulu construire le prochain magasin au lieu de louer des locaux?  

Maria : Ils ont décidé d’acheter plutôt que de louer pour mieux contrôler le taux de location. Ils pensaient également qu’un immeuble à rénover prendrait de la valeur avec le temps. En fin de compte, ils ont vendu l’entreprise à un prix plus élevé parce qu’elle était accompagnée d’un bien immobilier. C’était en 2009. Une autre raison pour laquelle l’entreprise a été vendue à cette époque est que ma mère avait des problèmes de santé. Cela l’a incitée à se détourner du commerce de la charcuterie en faveur d’une entreprise à base de plantes. 

Andy : Avez-vous toujours travaillé dans le secteur alimentaire? 

Maria : J’ai été recrutée dans ce secteur avant l’âge de pouvoir m’en souvenir. Au lieu de jouer après l’école, on me félicitait d’étiqueter et d’autocoller des sacs et des produits et d’aider là où je le pouvais quand j’étais enfant. Quand j’étais plus jeune, je ne voulais rien avoir à faire avec l’entreprise de mes parents. Mais la famille, c’est la famille, alors j’ai aidé. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme de fin d’études secondaires, je ne savais pas vraiment quoi faire, mais grâce à toute mon expérience dans le domaine alimentaire, j’ai rapidement pu entrer dans le secteur de la restauration, en travaillant pour la chaîne de restaurants Sequoia Company. J’ai appris que ce secteur pouvait offrir plus que ce que mes parents m’avaient montré et j’ai aimé cela. J’ai fait une pause et j’ai voyagé au Viêt Nam pendant environ trois mois pour stimuler tous mes sens en matière de nourriture et de culture, et pour me rapprocher de mes racines. Cela a été une expérience révélatrice de voir les paysages, d’entendre les sons et de goûter la nourriture que je n’avais mangée qu’à la maison ou dans d’autres restaurants vietnamiens de Vancouver. À mon retour, j’ai décidé de me lancer dans ce métier et je me suis inscrite à l’école de cuisine. 

Andy : Est-ce alors que vous avez ouvert CHAU Veggie Express?  

Maria : Pas tout de suite. J’ai ouvert un restaurant sur la rue Robson que j’ai appelé Chau Kitchen and Bar. Cet établissement a été reçu avec scepticisme par la communauté vietnamienne; cependant, il a été un virage important dans mon appréciation de la cuisine vietnamienne. J’ai vendu cette affaire au bout de deux ans en raison de la maladie de ma mère, mais le nouveau propriétaire n’a pas voulu préserver ce qui avait été construit et l’a changé du tout au tout. 

Andy : Qu’est-ce qui vous a poussée à ouvrir un autre restaurant après Chau Kitchen?  

Maria : En fait, deux choses. D’abord, à la conciergerie de mon appartement, j’ai entendu une dame complimenter ce petit restaurant vietnamien qu’elle trouvait tout à fait charmant. Je me suis tournée vers elle et je lui ai dit que c’était le mien, mais que j’allais le fermer parce que ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. Il s’est avéré qu’elle était la créatrice d’une célèbre école culinaire appelée Dubrulle et elle m’a conseillé de ne pas négliger ce que j’avais appris et m’a suggéré que, si je devais recommencer, ce ne serait que mieux. Deuxièmement, on a diagnostiqué à ma mère une tumeur au cerveau et elle a décidé de passer à un régime végétarien pour le bien de sa santé. Elle voulait ouvrir un concept végétarien pour rendre à la communauté ce qu’elle avait reçu en ne fabriquant et en ne vendant plus de viande, mais en se concentrant sur la famille et la santé grâce à la nourriture végétarienne. 

Andy : Comment avez-vous appris à mieux connaître l’alimentation végétarienne?  

Maria : J’ai voyagé dans des pays comme l’Inde parce qu’il y a des endroits où il est illégal d’abattre des vaches. J’ai aussi étudié la nourriture végétarienne vietnamienne. Đồ chay est le terme que nous utilisons pour classer la nourriture végétarienne préparée par les moines bouddhistes, car cela fait partie de leur pratique de ne pas faire de mal aux animaux. J’ai également séjourné dans un monastère vietnamien pour voir ce qu’ils faisaient. Plus j’en apprenais, plus je voulais m’y consacrer, mais avec ma propre interprétation. En 2008, j’ai ouvert CHAU Veggie Express avec un menu végétarien inspiré de mon héritage vietnamien. 

Andy : Êtes-vous propriétaire de l’immeuble? 

Maria : Il était important de posséder le bâtiment parce que je voyais le commerce comme une entreprise à long terme. Je ne voulais pas améliorer quelque chose qui appartenait à quelqu’un d’autre. Je voulais aussi faire partie du quartier et l’idée de louer était trop éphémère pour moi. Cette partie de la promenade Victoria compte certains des meilleurs restaurants de Vancouver et je suis fier d’y avoir contribué à ma façon. 

Real estate story #3 

Avec l’aimable autorisation de Teresa Trần. 

Le troisième emplacement est le 701 Kingsway, à l’angle de la rue Fraser. Il s’agit d’une place à l’ancienne, avec des entrées et des sorties sur Kingsway et Fraser, et d’un immeuble d’un étage à plusieurs locataires, situé en retrait du petit stationnement de surface, obsolète sur le plan fonctionnel. Il s’agit de l’une des dernières places en bande le long de Kingsway avec un potentiel de réaménagement. Construit en 1987 et évalué à 13 703 200 $, dont 13 675 000 $ pour le terrain. L’un des premiers locataires est Ba Le Deli and Sandwich Ltd. Je me suis entretenu avec Teresa Trần pour en savoir plus sur l’entreprise familiale. 

Andy : Ba Le est un incontournable du bánh mì (sandwich vietnamien) depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. Comment cela a-t-il commencé et quand?  

Teresa : Mon père était un soldat de l’armée du Sud-Vietnam. Lorsque les communistes ont gagné la guerre et ont commencé à s’emparer des biens, il savait qu’il devait partir. Sa famille a voyagé par bateau jusqu’à un camp de réfugiés avant d’arriver au Canada en 1980. Après environ sept ans, mon père a ouvert le magasin. 

Andy : Pourquoi l’accent a-t-il été mis sur les sandwiches? 

Teresa : Nous sommes issus d’une longue lignée de propriétaires de sandwicheries. Je suis la troisième génération. Mon père était de la deuxième génération. Mes grands-mères maternelle et paternelle étaient les premières, ayant commencé au Viêt Nam en exploitant des chariots de restauration mobiles. Le savoir-faire fait partie de la famille. Nous fabriquons tous les produits qui entrent dans la composition des sandwiches, du pain à la viande en passant par la mayonnaise et le pâté.  

Andy : Il y avait d’autres endroits à Vancouver où s’installer, pourquoi a-t-il choisi celui-ci?  

Teresa : Au Vietnam, les gens aimaient les intersections accessibles et visibles parce que c’est là que les gens allaient en premier. De plus, dans les années 1980, de nombreux Vietnamiens s’étaient installés sur Kingsway ou à proximité, et il était donc logique qu’un magasin de bánh mì ouvre à cet endroit. Les loyers étaient bon marché à l’époque et de nombreux autres commerces vietnamiens ont ouvert le long de Kingsway pour les mêmes raisons. 

Andy : Votre père a-t-il eu du mal à lancer l’entreprise?  

Teresa : Il connaissait très peu l’anglais, mais comme le personnel municipal avec lequel il s’est entretenu était très serviable, cela a été relativement facile. Il a pu obtenir sa licence d’exploitation rapidement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En outre, les taxes foncières, les frais de nourriture et les loyers étaient beaucoup moins chers à l’époque. 

Andy : Comme beaucoup d’autres enfants vietnamiens, deviez-vous aider l’entreprise familiale?   

Teresa : Oui, dès mon entrée au secondaire. Comme la plupart d’entre nous, je suis allée à l’université et j’ai fait des études. Mais le moment venu, j’ai décidé de rejoindre l’entreprise familiale. J’ai officiellement rejoint l’entreprise il y a une dizaine d’années pour aider ma sœur aînée, Diana, qui la dirigeait avec mon frère aîné. Il est décédé de manière inattendue il y a une dizaine d’années et, après de longues discussions, j’ai décidé de poursuivre la tradition familiale, mais en jouant davantage un rôle de gestionnaire. 

Andy : Qu’est-ce qui vous a incitée à ouvrir un autre établissement au nord sur Fraser Street, à East Broadway?  

Teresa : Il y a eu beaucoup de réaménagements le long de Kingsway. Cet emplacement a été vendu à un promoteur il y a quelques années. Notre bail se terminant en 2025, l’emplacement sur East Broadway a été choisi en prévision de notre départ. Cependant, nous voulions rester dans le quartier de Mt. Pleasant. L’immeuble situé à l’angle de Fraser et de Broadway appartient à la ville de Vancouver et abrite le bâtiment Kwayasut de la Vancouver Native Housing Society, un site de logements supervisés pour adultes et jeunes célibataires. Nous entretenons de très bonnes relations avec la ville et la Society. 

Andy : Avez-vous hésité à ouvrir la boutique? 

Teresa : Oui, ma mère ne pensait pas pouvoir tenir le coup, mais mon père l’a convaincue. Dès le premier jour, le magasin a été très bien accueilli par la communauté vietnamienne, dont beaucoup n’avaient pas mangé de bánh mì depuis leur départ du Viêt Nam. Au cours des premières années, la boutique est devenue une sorte de lieu de rendez-vous pour la communauté vietnamienne, un point de rencontre.  

Les cheminements que ces familles ont entrepris pour fuir le Viêt Nam n’ont pas été faciles. Il a fallu beaucoup de persévérance et de chance. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime qu’entre 200 000 et 400 000 personnes qui ont tenté de s’enfuir après la guerre ont péri en mer. Dans le monde entier, entre 1975  et 1980, les pays d’accueil ont hébergé environ 800 000 réfugiés. Le Canada en a accueilli plus de 120 000 au cours de cette période. 

Les ajustements nécessaires pour ces nouveaux arrivants ont été difficiles au début, mais ils ont tous réussi à établir une nouvelle vie. Ce faisant, le Canada a bénéficié de leurs efforts collectifs, faisant de la cuisine vietnamienne l’une des plus populaires, en particulier à Vancouver. Le 23 avril 2015, le gouvernement canadien a adopté une loi déclarant le 30 avril Journée du parcours vers la liberté pour marquer une journée nationale de commémoration de l’exode des réfugiés vietnamiens et de leur acceptation au Canada.