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Tendances émergentes dans l’évaluation immobilière

Évaluation immobilière au Canada

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2025 – Volume 69 – Tome 2
Tendances émergentes dans l’évaluation immobilière
Ayda Chamcham, MSC, FRICS, É. Pro., AACI

Introduction

Entre 2020 et 2022, le secteur immobilier a été captivé par l’essor fulgurant du métavers. Des parcelles virtuelles de terrain sur des plateformes comme Decentraland et The Sandbox se vendaient à des millions de dollars, suscitant un débat intense sur l’avenir de la propriété et de la valeur dans les environnements numériques. Lors de la conférence annuelle virtuelle de l’industrie à Edmonton, une présentation a exploré ce virage radical vers les actifs digitaux et les implications pour les professionnels de l’évaluation. Une question centrale s’est imposée : comment évaluer des biens qui existent entièrement dans des environnements virtuels, où les critères traditionnels – tels que l’emplacement, l’état physique ou les ventes comparables – ne s’appliquent plus ? C’était un moment à la fois captivant et incertain, où la profession a commencé à réimaginer ses principes fondamentaux face à un monde numérique en pleine mutation.

En 2025, bien que le métavers demeure un investissement marginal, presque relégué au second plan pour ne pas dire oublié, l’attention du secteur immobilier
s’est largement recentrée sur les actifs tangibles/physiques – désormais plus complexes, pilotés par l’analyse de données, et façonnés par les transformations technologiques, les incertitudes climatiques et les turbulences économiques.

Dans ce contexte en pleine mutation, l’évaluation immobilière connaît une profonde transformation. Le défi est clair : maintenir la précision et la rigueur tout en faisant preuve d’adaptabilité dans un marché devenu plus volatile et imprévisible que jamais. Des modèles d’évaluation alimentés par l’intelligence artificielle aux outils d’analyse des risques climatiques, les méthodes et les philosophies qui guident l’évaluation sont en pleine redéfinition.
Cet article explore les tendances émergentes qui façonnent le domaine, les facteurs qui alimentent l’instabilité du marché, ainsi que les meilleures pratiques pour naviguer dans ce nouvel environnement.

Aperçu des tendances émergentes

L’évaluation immobilière a désormais largement dépassé les critères traditionnels tels que la localisation, la superficie et les ventes comparables. Elle est devenue une discipline multidimensionnelle, façonnée par la science des données, les impératifs de durabilité/ESG et l’évolution du comportement des consommateurs. Face à des marchés plus volatils et des actifs plus complexes, les professionnels de l’évaluation adoptent une approche dynamique et interdisciplinaire, combinant expertise traditionnelle, technologies avancées et conscience globale. Au cœur de cette transformation se trouvent l’intelligence artificielle et l’évolution des modèles/systèmes d’évaluation automatisée (AVM/AVS), qui redéfinissent la manière dont la valeur des biens est analysée, anticipée et communiquée.

Les AVM/AVS modernes sont bien plus sophistiqués que leurs prédécesseurs. Aujourd’hui, ils exploitent des algorithmes d’apprentissage automatique pour traiter des milliers de variables en temps réel – allant des historiques de transactions aux tendances démographiques, en passant par le ressenti des quartiers sur les réseaux sociaux et les données de mobilité. Cette évolution permet des évaluations plus rapides, cohérentes et évolutives, réduisant les erreurs humaines et couvrant une plus grande diversité de marchés. L’analyse prédictive renforce encore ces capacités en anticipant les valeurs futures des biens selon des indicateurs macroéconomiques, les risques climatiques et les comportements des consommateurs. Pour les investisseurs, prêteurs et décideurs publics, ces outils offrent une compréhension plus fine et plus réactive des dynamiques du marché.

Cependant, l’essor des systèmes d’évaluation basés sur l’Intelligence Artificielle soulève de nouveaux défis. La complexité de ces modèles génère souvent des résultats opaques – appelés « algorithmes boîtes noires » – difficiles à interpréter, expliquer et justifier. Ce manque de transparence suscite des préoccupations légitimes en matière de responsabilité, notamment dans les environnements réglementés où l’évaluation doit être défendable et vérifiable. Ainsi, la supervision humaine reste indispensable. L’expertise locale et le jugement professionnel demeurent essentiels, en particulier dans les marchés émergents ou atypiques où les facteurs qualitatifs jouent un rôle majeur. Des plateformes grand public comme Zillow (Zestimate) et Redfin (Estimate) illustrent à la fois le potentiel et les limites des AVM. L’intégration de Redfin aux données MLS tend à produire des évaluations plus précises pour les biens listés, tandis que la couverture plus large de Zillow – basée sur des données publiques et soumises par les utilisateurs – peut varier en fiabilité. Ces exemples soulignent l’importance de la calibration, du contexte et de l’évaluation critique lors du déploiement d’outils automatisés.

Blockchain etinnovation dans l’évaluation

Aux côtés de l’IA, la technologie blockchain s’impose comme une force majeure dans la transformation de l’évaluation immobilière. Système décentralisé, sécurisé et transparent, la blockchain enregistre les transactions sans intermédiaires, garantissant confiance et efficacité.
Alors que le secteur immobilier se numérise, la blockchain redéfinit la manière dont les données foncières sont enregistrées, analysées et échangées.

En sécurisant les registres dans des registres numériques infalsifiables, la blockchain réduit les risques d’erreurs, de modifications non autorisées et de litiges de propriété. Elle permet un accès instantané aux historiques de transactions, renforçant la transparence et limitant la fraude. Les contrats intelligents (accords numériques auto-exécutables selon des conditions prédéfinies) automatisent des processus clés tels que la signature de baux, les transferts de titres et les évaluations. Ces outils rationalisent les opérations, réduisent la dépendance à la documentation papier et améliorent la rapidité et la fiabilité.

Autrefois associée principalement aux cryptomonnaies, la blockchain est devenue une technologie fondamentale capable de révolutionner de nombreux secteurs – et l’immobilier figure parmi les plus prometteurs. Le Canada se positionne comme un acteur majeur de cette évolution. Les projections estiment que le secteur canadien de la blockchain passera de
557,2 millions USD en 2022 à 81,6 milliards USD en 2030, avec un taux de croissance annuel composé de 88,2 %. Cette dynamique est portée par une demande croissante de systèmes sécurisés, efficaces et infalsifiables dans divers secteurs, y compris l’immobilier, où la blockchain est utilisée pour créer des registres de propriété immuables et automatiser les processus d’évaluation.

L’engagement du Canada en faveur de l’innovation blockchain se reflète non seulement dans les prévisions de marché, mais aussi dans ses orientations politiques. Un rapport marquant de la Chambre des communes en 2023 a recommandé l’élaboration d’une stratégie nationale sur la blockchain et la création de « bacs à sable réglementaires » – nm des environnements contrôlés pour tester les applications blockchain dans l’évaluation et les transactions immobilières. Ce soutien institutionnel témoigne d’une volonté claire de favoriser l’innovation tout en assurant la supervision réglementaire et la confiance du public. La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) explore également l’utilisation de la blockchain dans son écosystème de financement du logement, tandis que les autorités provinciales et fédérales s’attaquent aux aspects liés aux cryptomonnaies.

L’élan digital s’accélère également, avec le Toronto and Region Real Estate Board (TRREB) qui a lancé la plateforme REALM – désormais largement utilisée en Ontario. Des entreprises comme PropTx intègrent la blockchain à REALM pour améliorer l’évaluation immobilière, tandis que Mavennet développe des standards d’identité décentralisée. Ces initiatives sont soutenues par des groupes de défense tels que le Canadian Blockchain Consortium, qui mettent en avant le potentiel de la blockchain dans les contrats intelligents, les transferts de titres fonciers et la vérification sécurisée de l’identité, signalant un virage plus large vers l’innovation numérique dans le secteur.

Alors, qu’est-ce que cela signifie pour la profession d’évaluateur ? Les implications sont profondes. La blockchain offre une infrastructure sécurisée pour la gestion des données immobilières, garantissant que les historiques d’évaluation restent infalsifiables et accessibles. Les contrats intelligents peuvent automatiser des aspects clés du processus d’évaluation en extrayant des données de sources vérifiées – telles que les tendances du marché, les ventes comparables et les caractéristiques des biens – et en exécutant des règles prédéfinies pour générer des évaluations en temps réel. Cela réduit la dépendance aux intermédiaires, minimise les erreurs humaines et accélère les délais de transaction. Plusieurs plateformes intègrent déjà des modèles d’évaluation basés sur la blockchain, marquant une transition vers des écosystèmes plus transparents, efficaces et responsables.

Tokenisation

Une autre tendance émergente est la tokenisation, qui consiste à convertir la propriété d’actifs immobiliers en jetons numériques sur une blockchain, permettant aux investisseurs d’acheter et de vendre de petites parts – comme des actions. Cela rend l’investissement immobilier plus accessible, augmente la liquidité et facilite les transactions entre pairs sans intermédiaires traditionnels.

Pour les évaluateurs, la tokenisation introduit de nouvelles couches de complexité. L’évaluation doit désormais prendre en compte la facilité de négociation des jetons, la structure de propriété et l’impact du sentiment du marché. Bien que l’actif sous-jacent reste physique, sa nature négociable et son infrastructure numérique modifient le cadre d’évaluation vers un modèle hybride.

Sans entrer dans les détails techniques, un exemple récent illustre cette tendance : en mars 2025, Polymesh et Ocree Capital ont tokenisé un bien commercial de 51,9 millions de dollars à Winnipeg, offrant aux investisseurs accrédités une propriété fractionnée via une plateforme blockchain réglementée. Cela représente une étape importante dans l’intégration de la finance numérique et de l’investissement immobilier.

Alors que le Canada poursuit sa stratégie numérique, la profession d’évaluateur se trouve à l’aube d’une nouvelle ère – une ère qui exige un changement fondamental de méthodologie. La convergence de l’IA, des mégadonnées et de la blockchain redéfinit les fondements mêmes de l’évaluation immobilière.

Les professionnels doivent désormais évaluer non seulement les attributs physiques des biens, mais aussi les mécanismes numériques qui régissent leur propriété, leur échange et leur comportement sur le marché. Cela nécessite un ensemble de compétences hybrides, combinant expertise traditionnelle en évaluation, maîtrise de l’économie de la blockchain, évaluation des actifs numériques et analyse des données. L’avenir repose sur des modèles qui allient la rapidité et l’objectivité de la technologie à la perspicacité et au discernement des professionnels expérimentés – surtout lorsque ces éléments doivent être divulgués de manière transparente et interprétés de façon responsable dans les rapports d’évaluation. Dans un contexte marqué par l’incertitude économique, les perturbations climatiques et l’accélération technologique, la capacité à équilibrer innovation et jugement éclairé n’est plus une option.

Intégration ESG

Alors que l’intelligence artificielle, la blockchain et la tokenisation continuent de transformer les mécanismes de l’évaluation immobilière – en apportant rapidité, transparence et liquidité – une autre force redéfinit son objectif : l’ESG. Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ne sont plus des considérations périphériques. Ils sont désormais au cœur de l’évaluation, du financement et de la régulation des biens immobiliers. L’évaluation ne consiste plus seulement à déterminer la valeur actuelle d’un bien, mais à anticiper sa valeur future et à comprendre les forces – technologiques, environnementales et sociétales – qui façonneront cette trajectoire pour répondre aux attentes des investisseurs, des prêteurs et des décideurs publics.

À mesure que les gouvernements et les régulateurs exigent plus de transparence, de durabilité et de résilience à long terme dans l’environnement bâti, les pratiques d’évaluation doivent évoluer pour refléter ces priorités. L’intégration ESG implique de prendre en compte les risques climatiques, l’efficacité énergétique, l’impact social et les structures de gouvernance – alignant la valeur financière sur des objectifs sociétaux plus larges. Le Conseil international des normes d’évaluation (IVSC) a commencé à formaliser l’ESG dans ses normes mondiales, encourageant les évaluateurs à considérer les impacts ESG qualitatifs et quantitatifs lorsque cela est pertinent. Ce changement n’est pas seulement technique. Il redéfinit la valeur comme une fonction de responsabilité, de résilience et de pertinence.

Bien que le Canada et l’Europe reconnaissent tous deux l’importance stratégique de l’ESG, leurs approches reflètent des environnements réglementaires et des maturités de marché distincts. Au Canada, l’adoption de l’ESG est principalement guidée par le marché et non imposée, avec une utilisation croissante de certifications vertes comme LEED et BOMA, et une attention accrue à la résilience climatique et à l’équité sociale. Toutefois, les méthodes de reporting ESG et les méthodologies d’évaluation standardisées restent limitées, laissant place à l’interprétation et à l’incohérence. L’Europe, en revanche, adopte une approche réglementaire. La taxonomie de l’UE et la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité (CSRD) imposent des divulgations ESG, tandis que les normes de performance énergétique restreignent la location de bâtiments inefficaces. Les évaluateurs européens utilisent des cadres structurés pour intégrer la durabilité dans les modèles financiers, faisant de l’ESG une composante essentielle de la valeur des actifs plutôt qu’un simple complément.

Cette évolution de l’ESG s’inscrit dans une transformation plus large de l’évaluation – où la technologie rencontre la responsabilité, et où la précision des données s’allie à la prévoyance éthique.

Conclusion : naviguer dans la nouvelle normalité

Dans le paysage actuel en constante évolution, l’évaluation immobilière n’est plus une photographie figée – c’est une discipline dynamique et multidimensionnelle, façonnée par la technologie, l’éthique et les forces mondiales. La convergence de l’IA, de la blockchain et de la tokenisation transforme la manière dont la valeur est mesurée, échangée et comprise, tandis que l’intégration de l’ESG garantit que l’évaluation reflète non seulement la performance financière, mais aussi la résilience à long terme et l’impact sociétal. En 2025, si le métavers a lancé la conversation, ce sont les défis bien réels – changement climatique, instabilité économique et accélération numérique – qui définissent l’avenir de l’évaluation. Dans ce nouveau paradigme, les professionnels de l’évaluation ne sont plus de simples analystes du marché – ce sont des conseillers stratégiques capables de naviguer dans la complexité avec clarté. Équilibrer précision et volatilité exige plus que de meilleurs outils ; cela nécessite un changement de mentalité : passer de formules rigides à des cadres flexibles, d’une expertise isolée à une intelligence collaborative. La profession exige désormais des compétences hybrides qui allient science des données et intuition humaine, capables d’anticiper la valeur de demain à travers le prisme de la transparence, de l’éthique et de l’adaptabilité. Que vous soyez investisseur, promoteur ou évaluateur, le message est clair : adoptez les outils, respectez les risques et ne cessez jamais d’apprendre.